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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

sible. Mais, par la volonté du Père, Sigé arrêta Noûs pour leur donner à tous le désir et l’idée de chercher Propator. Les autres Éons éprouvèrent donc un désir secret de contempler Celui qui les avait produits, et de connaître la Racine qui n’a point de principe ; mais le dernier et le plus jeune des Éons de la Dodécade engendrée par Anthropos et Ecclesia, c’est-à-dire Sophia, alla beaucoup plus loin, et, sans s’unir à son époux Theletos, éprouva une passion (πάθος ἔπαθε). Cette passion, née dans les Éons inférieurs à Noûs et à Aletheia, se concentra tout entière dans cet Éon qui était perverti, en apparence par l’amour, mais réellement par l’audace (τόλμα) : il était jaloux de n’avoir pu, comme Noûs, communiquer avec le Père parfait. Cette passion n’était donc rien autre chose que l’ardeur de connaître le Père parfait dont Sophia voulait comprendre la grandeur. N’ayant pu réussir dans une entreprise dont le succès était impossible, Sophia tomba dans une grande anxiété : à cause de la profondeur immense et impénétrable du Père et de sa tendresse pour lui, elle s’étendait toujours[1] [pour l’embrasser], et, entraînée par la douceur de son amour, elle aurait fini par être absorbée en Bythos et par être anéantie, si elle n’avait rencontré la Puissance qui soutient et maintient tout en dehors de la Grandeur ineffable. Arrêtée et relevée par cette Puissance nommée Horos (ὅρος, limite), Sophia rentra avec peine en elle-même, et persuadée enfin que le Père est incompréhensible, elle se sépara de son Enthymesis (ἐνθύμησις[2]) et de la passion causée par la merveille qui l’avait frappée de stupeur.

Voici une autre version sur la passion et la conversion de Sophia. Ayant entrepris une chose impossible et incompréhensible, elle enfanta une essence informe et féminine, comme la sienne propre. À son aspect, elle éprouva de la tristesse, parce que c’était une créature imparfaite ; ensuite de la crainte, parce qu’elle redoutait que celle-ci ne possédât pas complètement l’existence ; enfin de la perplexité, parce qu’elle se demandait la cause de ce qui était arrivé et cherchait à le cacher. Après avoir été plongée dans ces passions, elle opéra sa conversion et elle tenta de remonter vers le Père. Après

  1. S. Irénée dit encore (I, 3) : « La substance de Sophia s’étendait et s’écoulait dans l’infini. » Les Valentiniens la comparaient à cette femme qui avait depuis douze ans un flux de sang et qui fut guérie en touchant la frange de vêtement du Sauveur (S. Marc, V, 31).
  2. Ce nom que Valentin donne à Achamoth ou Sophia inférieure, fille de Sophia supérieure, signifie à la fois Conception et Créature animée ; le traducteur latin de saint Irénée le rend par Cogitatio, et Tertullien (Adversus Valentinianos) par Animatio.