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DEUXIÈME ENNÉADE, LIVRE IX.

sa pensée, Dieu a produit le Verbe (λόγος); puis, dans le Verbe et par le Verbe, tous les autres Éons dont l’ensemble constitue la Plénitude de Dieu, le Plérôme spirituel (πλήρωμα πνευματιϰόν). En effet, le Verbe a manifesté l’Intelligence divine en distinguant et en déterminant toutes les choses qu’elle contenait à l’état de germe : il a ainsi donné naissance aux autres Éons, il est devenu le Père et le formateur de tout le Plérôme[1].

« Étant incompréhensible y invisible, éternel, non-engendré,


    (II, 3, 4) dit que les Gnostiques reconnaissaient l’existence du Vide sans en expliquer l’origine : « Ils professent une doctrine insoutenable au sujet de Bythos et du Plérôme. Ils disent qu’il y a quelque chose qui s’étend hors du Plérôme, et ils lui donnent le nom de Cénôme et d’Ombre... D’où vient ce Cénôme ? A-t-il été produit par Celui qu’ils appellent le Père de toutes choses ? » Plotin (§ 11, p. 292) adresse aux Gnostiques la même question : « Les Ténèbres existaient déjà, disent les Gnostiques, quand l’Âme les a vues et illuminées. D’où viennent donc les Ténèbres ? On voit par le double témoignage de S. Irénée et de Plotin que la théorie du Cénôme, de l’Ombre ou des Ténèbres, trois termes synonymes pour les Gnostiques, était un des points les plus obscurs de leur système. Ils paraissent avoir emprunté l’idée du Cénôme aux Kabbalistes, dont M. Franck expose ainsi la doctrine : « La première des manifestations divines, des Séphiroth, est la Couronne... Elle n’est pas cette totalité confuse, sans forme et sans nom, ce mystérieux inconnu [le Bythos des Gnostiques], qui a précédé toutes choses, même les attributs. Elle représente l’Infini distingué du fini ; son nom dans l’Écriture signifie je suis, parce qu’elle est l’Être en lui-même, l’Être considéré d’un point de vue où l’analyse ne pénètre pas, où nulle qualification n’est admise, mais où elles sont toutes réunies en un point indivisible [comme le Noûs des Gnostiques contient toutes choses à l’état de germe]. C’est pour ce motif qu’on l’appelle aussi le point primitif : « Quand l’inconnu des inconnus voulut se manifester, il commença par produire un point ; tant que ce point lumineux n’était pas sorti de son sein, l’Infini était encore complètement ignoré et ne répandait aucune lumière. » C’est ce que les Kabbalistes modernes ont expliqué par une concentration absolue de Dieu en sa propre substance. C’est cette concentration qui a donné naissance à l’espace, à l’air primitif, qui n’est pas un vide réel, mais un certain degré de lumière inférieure à la création. » (La Kabbale, p. 185.) Ce que les Kabbalistes appellent l’air primitif est évidemment la même chose que le Cénôme et les Ténèbres des Gnostiques. Ce qui prouve que ceux-ci regardaient le Cénôme comme créé avec le Plérôme, c’est la doctrine que S. Irénée (I, 11) attribue à Secundus : « Il divise la première Ogdoade des Éons en deux Tétrades, la Tétrade de droite et la Tétrade de gauche, qu’il nomme la Lumière et les Ténèbres.

  1. « Noûs a produit Logos, disait Ptolémée, et en Logos, toute l’essence des Éons, essence à laquelle Logos a ensuite donné la forme... Logos est l’auteur de la naissance et de la forme de tous les Éons qui sont nés après lui. » (S. Irénée, I, 8.)