Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/639

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
498
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

Ce qui peut expliquer la prétention qu’a Plotin de retrouver tout son système dans les écrits de Platon, c’est que ce philosophe n’a point formulé ses doctrines dans une exposition suivie et méthodique : il faut les chercher et souvent les deviner, au milieu de ses ingénieux dialogues et de ses mythes poétiques. Il les a donc laissées beaucoup à la merci des interprétations[1]. Quand Plotin entreprit de les réunir et de les coordonner en un seul système, il avait à combler des lacunes, à lier entre elles des parties incohérentes, à concilier des idées qui paraissaient contradictoires[2]. N’était-il pas naturel dès lors qu’il attribuât à Platon les principes ou les conséquences qui lui semblaient logiquement impliqués dans son système ? En admettant, comme le fait Plotin (§ 6, p. 271, 273), qu’il y avait une sagesse antique[3], connue des hommes divins de la Grèce, tels qu’Empédocle, Héraclite, Pythagore, Platon, mais exposée obscurément dans leurs écrits[4], et enseignée allégoriquement dans


    semblance, j’oserais presque dire l’identité que l’on trouve sur tous les points essentiels entre le Néoplatonisme et la Kabbale. »

  1. « Voy. M. H. Martin, Études sur le Timée, t. II, p 193.
  2. Voy. Enn. IV, liv. viii, § 1 : « Le divin Platon n’est point partout d’accord avec lui- même, en sorte qu’il n’est point facile de comprendre sa pensée.
  3. Cette idée d’une sagesse antique se trouve indiquée dans les dialogues de Platon : « Les anciens qui valaient mieux que nous, et qui étaient plus prés des dieux, nous ont transmis cette tradition, que toutes les choses auxquelles on attribue une existence éternelle sont composées d’un et de plusieurs, et réunissent en elles, par leur nature, le fini et l’infini... Faut-il dire, comme ceux qui nous ont précédé, qu’une intelligence, une sagesse admirable a formé le monde et le gouverne ? » (Philèbe, t. II, p. 304, 341 de la trad. de M. Cousin.) On trouve une pensée semblable dans Aristote : « Une tradition venue de l’antiquité la plus reculée, et transmise à la postérité sous le voile de la fable, nous apprend que les astres sont des dieux, et que la divinité embrasse toute la nature ; tout le reste n’est qu’un récit fabuleux imaginé pour persuader le vulgaire et pour servir les lois et les intérêts communs. Ainsi on donne aux dieux la forme humaine, on les représente sous la figure de certains animaux ; et mille inventions du même genre qui se rattachent à ces fables. Si l’on sépare du récit le principe lui-même, et qu’on ne considère que cette idée que toutes les essences premières sont des dieux, alors on verra que c’est là une tradition vraiment divine. Une explication qui n’est pas sans vraisemblance, c’est que les arts et la philosophie furent découverts plusieurs fois et plusieurs fois perdus, comme cela est très-possible, et que ces croyances sont, pour ainsi dire, des débris de la sagesse antique conservés jusqu’à notre temps. Telles sont les réserves sous lesquelles nous acceptons les opinions de nos pères et la tradition des premiers âges. » (Métaphysique, XII, 8 ; t. II, p. 232 de la trad. de MM. Pierron et Zévort.)
  4. Voy. Enn. V, liv. i, § 9.