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DEUXIÈME ENNÉADE, LIVRE IV.

la Beauté même ; tandis que la matière, parce qu’elle n’a pas de forme, est le contraire de la beauté, la véritable laideur[1]. Dirons-nous à quoi elle ressemble ? Elle est le principe de toute dissimilitude. L’ombre d’unité qu’elle possède ne nous apparaît que déjà multipliée[2]. C’est à peine si elle a une sorte d’essence ; elle ne compte pas parmi les êtres ; elle n’est pas non plus un phénomène ; mais elle est la base nécessaire de tout phénomène, le réceptacle de toute génération, le sujet universel (ὑποϰείμενον)[3]. D’un corps bien ordonné, supprimez l’ordre, il vous restera la matière[4].

On le voit : à titre de nécessaire, la matière procède encore du Bien ; elle a donc une certaine essence ; elle peut donc aspirer aux dons du Démiurge, recevoir l’impression des idées intellectuelles, mais sans qu’elle puisse la transmettre, sans même qu’il en résulte pour elle aucune modification. Elle n’est donc pas le mal en soi ; d’abord, parce que le mal en soi n’existe pas[5] ; ensuite, parce que la matière, entrant pour quelque chose dans la composition du monde, ne peut être essentiellement mauvaise, et parce que, ne pouvant agir, ne pouvant même être modifiée par les impressions qu’elle reçoit, on n’imagine pas comment elle pourrait lutter contre le Bien. On peut dire seulement qu’elle devient pour les âmes l’occasion du désordre et de la chute[6]. Elle n’est pas un mouvement désordonné : un tel mouvement serait encore une force, et la matière n’en possède même pas l’apparence. Elle n’est pas non plus la nécessité : elle est seulement quelque chose de nécessaire. Elle est, en un mot, ce qui n’est réellement pas, un mensonge vrai[7]. »

Pour l’appréciation de la doctrine exposée par Plotin, on peut encore consulter :

Brucker, Historia critica philosophiœ, t. II, p. 426-431 ;
Tiedemann, Geist der speculativen Philosophie, t. III, p. 284 ;
Tennemann, Geschichte der philosophie, t. VI, p. 119 ;
M. Vacherot, Histoire critique de l’École d’Alexandrie, t. I, p. 445-458 ; t. III, p. 307-312.

  1. Comm. de l’Alcib., t. III, p. 212 ; Comm. du Tim., p. 274 ; Comm. du Parm., t. V. p. 92.
  2. Comm. du Tim., p. 54.
  3. Comm. du Parm., t. V, p. 120 ; Comm. du Tim., p. 69, 142.
  4. Comm. du Parm., t. V, p. 72, 142 ; t. VI, p. 22 ; Comm. du Tim., p. 117.
  5. Du Mal, c. 1, 2, 3, 4 ; Comm. du Tim., p. 332.
  6. Comm. sur la Républ., p. 358 ; Comm. de l’Alcib., t. III, p. 87.
  7. Comm. de l’Alcib., t. II, p. 219, 251 ; Théol. selon Platon, liv. v, c. 31.