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DEUXIÈME ENNÉADE, LIVRE IV.

Aristote, l’être en puissance, ce qui n’est rien par soi-même et qui peut tout devenir. C’est ce dont on ne doit jamais dire qu’il est, mais seulement qu’il sera[1]. Tout ce qui est actuel dans les choses sensibles, tout ce qui est réel, ce sont donc les qualités par lesquelles est déterminée l’indétermination de la matière. Les qualités apparaissent, il est vrai, comme des accidents passagers dans tel ou tel sujet. Mais les qualités accidentelles et passagères ne sont que des images et des ombres, et elles ont pour archétypes des actes qui émanent de puissances substantielles[2]. Ces puissances sont les raisons séminales des Stoïciens[3] ; et les raisons séminales remontent elles-mêmes, en dernière analyse, à des âmes. » (Essai sur la Métaphysique d’Aristote, t. II, p. 328-331, 383-384.)

En rejetant le dualisme de Platon, en enseignant que la matière est une substance dépendante pour son existence de la nature divine, Plotin s’est rapproché de la doctrine chrétienne sur la création de la matière. Sous ce rapport on peut comparer un passage de ce livre iv de Plotin avec un fragment où Origène combat en ces termes le dualisme de Platon :

« D’où vint à Dieu le secret de mesurer la quantité de cette substance incréée pour qu’elle suffit à l’hypostase du monde tel qu’il est ? Il existait donc précédemment à Dieu une Providence quelconque qui devait nécessairement prévoir la quantité de matière à lui fournir, pour ne pas rendre stérile le talent inné avec lequel il devait orner l’univers de tant de beautés, ce qu’il n’aurait pu exécuter sans elle. Comment cette matière serait-elle devenue apte à recevoir toutes les qualités que Dieu voulait lui faire prendre y s’il ne l’avait faite lui-même en étendue et en qualité telle qu’il la voulait ? Mais admettons la supposition que la matière soit incréée : nous demanderons à ceux qui veulent qu’il en soit ainsi, si la matière, sous la main de Dieu, est devenue telle que nous la voyons sans que la Providence l’ait suggérée, en quoi le concours de cette même Providence l’aurait-elle rendue plus parfaite que lorsque le hasard y a présidé ? Si Dieu, dépourvu de matière, eût voulu la mettre en œuvre, qu’est-ce que sa sagesse et sa divinité auraient pu concevoir de meilleur que ce qui est résulté d’une matière incréée ? Si l’on trouve qu’elle eut été sans la Providence telle qu’elle a été sous elle, pourquoi n’effacerions-nous pas de la création du monde l’ordonnateur et l’architecte ? Car, de même qu’il serait déraisonnable de dire que le monde a pu être disposé d’une manière

  1. Voy. Enn. II, liv. v, § 4, 5, p. 231-234.
  2. Voy. Enn. II, liv. vi, § 2, p. 240.
  3. Ibid., p. 240, note 2.