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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

qu’à l’ordre a préexisté le désordre ou le chaos[1] ; selon d’autres, tels qu’Alcinoüs, Platon a cru, ainsi qu’Aristote lui-même, à l’éternité du monde. Mais selon les uns et les autres, les choses n’ont reçu de Dieu soit depuis un temps quelconque, soit de toute éternité, que l’ordre et la beauté, non pas l’être[2]. Dans leur croyance unanime, il y a en dehors et indépendamment de la nature divine, non-seulement, comme Aristote et les Stoïciens l’avaient pensé, quelque chose d’indéterminé, matière première sans forme, qui ne possède pas à elle seule une véritable existence, mais une substance complète, composée de la matière et d’une âme qui l’agite et la meut. Suivant les uns, plus fidèles à la pensée de Platon, l’âme dont la matière est douée est un principe presque entièrement passif, incapable de se suffire véritablement à lui-même, et que Dieu a de toute éternité assujetti à sa loi. Selon les autres, tels que Plutarque, Atticus, Numénius, plus rapprochés de la croyance religieuse de la Perse et d’une partie de l’Orient, l’existence du mal démontre celle d’un principe véritablement actif, qui s’oppose, soit dans le monde, soit dans chaque homme, à l’action bienfaisante du principe divin. Mais c’est leur commune doctrine que, pour expliquer le monde tel qu’il est, il faut reconnaître, outre le principe éternel qui le régit, un autre principe, éternel aussi, et qui possède par lui-même l’existence et le mouvement. C’est le principe matériel, d’où le mal tire son origine...

Plotin ne considère plus la matière, ainsi que le faisaient les Atticus et les Plutarque, comme une substance indépendante pour son existence de la nature divine[3], et livrée, sous l’influence d’une âme naturellement mauvaise, à un mouvement aveugle et irrégulier. Pour lui, la matière première n’est que le dernier sujet qu’on est obligé de supposer permanent sous la variation des phénomènes[4]. C’est ce qui reçoit toute forme et toute détermination, et qui, par conséquent, est en soi-même tout à fait informe et indéterminé[5]. Ce n’est donc pas le corps[6] ; ce n’est pas même la simple quantité[7] (ainsi que Modératus l’avait dit[8]) : c’est l’infini, le non-être, comme Platon la nommait[9] ; ou plutôt, pour la distinguer de la simple absence d’être, qui en est la privation, Plotin en fait avec

  1. Voy. Plutarque, De Animœ procr. in Tim., 4 ; Atticus, dans Eusèbe, Préparation évangélique, XV, 6.
  2. Voy. Alcinoüs, Introd. in Platonis dogmata, 14.
  3. Voy. Enn. II, liv. iv, § 15, p. 220 : « L’infini de la matière semble né de l’infinité de l’Un.
  4. Ibid., § 6, p. 201-203.
  5. Ibid., § 10, p. 208-211.
  6. Ibid., § 8, p. 205-207.
  7. Ibid., § 11, 12, p. 211-214.
  8. Ibid., p. 214, note 1.
  9. Ibid., p. 213, note 1.