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LVI
PORPHYRE.

elle n’accordera au corps que les plaisirs qui lui sont nécessaires, qui servent à le guérir de ses souffrances, à le délasser de ses fatigues, à l’empêcher d’être importun[1]. Elle s’affranchira des douleurs ; si cela n’est pas en son pouvoir, elle les supportera patiemment et les diminuera en ne consentant pas à les partager. Elle apaisera la colère autant que possible ; elle essaiera même de la supprimer entièrement ; du moins, si cela ne se peut pas, elle n’y participera en rien par sa volonté, laissant à une autre nature [à la nature animale][2] l’emportement irréfléchi, et encore réduisant et affaiblissant le plus possible les mouvements involontaires. Elle sera inaccessible à la crainte, n’ayant plus rien à redouter : là encore, elle comprimera tout brusque mouvement ; elle n’écoutera la crainte[3] que si c’est un avertissement de la nature à l’approche d’un danger. Elle ne désirera absolument rien de honteux : dans le boire et le manger, elle ne recherchera que la satisfaction d’un besoin tout en y restant étrangère. Quant aux plaisirs de l’amour, elle n’en jouira même pas involontairement ; du moins, elle ne dépassera pas les élans de l’imagination qui se joue dans les songes. Dans l’homme purifié, la partie intellectuelle de l’âme sera pure de toutes ces passions, elle voudra même que la partie qui ressent les passions irrationnelles du corps les perçoive sans être agitée, par elles et sans s’y abandonner ; de cette manière, si la partie irrationnelle vient elle-même à éprouver des émotions, celles-ci seront promptement calmées par la présence de la raison. Il n’y aura donc pas de lutte quand on aura fait des progrès dans la purification. Il suffira que la raison soit présente ; le principe inférieur la respectera au point de se fâcher contre lui-même et de se reprocher sa propre faiblesse, s’il éprouve quelque agitation qui puisse troubler le repos de son maître. » Tant que l’âme éprouve encore des passions, même modérées, il lui reste à faire des progrès pour devenir impassible. Ce n’est que lorsqu’elle a cessé complète-

  1. Le morceau que nous mettons ici entre guillemets reproduit, avec de légers changements, le § 5 de Plotin, p. 58. Il a été mal ponctué par Holstenius, et il en résulte qu’il y a plusieurs erreurs dans sa traduction latine. Il suffit d’ailleurs de comparer le texte de Porphyre à celui de Plotin pour corriger ces fautes. Il est regrettable que M. Fréd. Creuzer les ait laissées subsister dans l’édition qu’il a donnée des Principes de la théorie des intelligibles.
  2. Sur l’âme irraisonnable et animale, Voy. les Notes, p. 324,362.
  3. Il y a dans le texte de Porphyre ἐν θυμῷ καὶ φόβῳ. Il faut retrancher ἐν θυμῷ pour ne pas rompre l’enchaînement des idées et se conformer au texte de Plotin