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LV
PRINCIPES DE LA THÉORIE DES INTELLIGIBLES.

Ensuite, quand on est persuadé de cette vérité, il faut se recueillir en soi-même en se détachant du corps et en s’affranchissant complètement de ses passions. Celui qui se sert trop souvent des sens, bien qu’il le fasse sans attachement et sans plaisir, est distrait cependant par le soin du corps et y est enchaîné par la sensibilité. Les douleurs et les plaisirs produits par les objets sensibles exercent sur l’âme une grande influence et lui inspirent de l’inclination pour le corps. Il est important d’ôter à l’âme une pareille disposition[1] « Dans ce but,

    dans son Florilegium, Tit. XXI, p. 184-186, éd. Gesner. En voici un passage qui se rapporte parfaitement à notre texte : « Comme en descendant ici-bas nous sommes revêtus de l’homme extérieur et que nous tombons dans l’erreur de croire que ce qu’on voit de nous est nous-même, le précepte Connais-toi toi-même est fort propre à nous faire connaître quelles facultés constituent notre essence… Platon a raison de nous recommander dans le Philèbe de nous séparer de tout ce qui nous entoure et nous est étranger, afin de nous connaître nous-mêmes à fond, de savoir ce qu’est l’homme immortel et ce qu’est l’homme extérieur, image du premier, et ce qui appartient à chacun d’eux. À l’homme intérieur appartient l’intelligence parfaite ; elle constitue l’homme même, dont chacun de nous est l’image. À l’homme extérieur appartient le corps avec les biens qui le concernent. Il faut savoir quelles sont les facultés propres à chacun de ces deux hommes et quels soins il convient d’accorder à chacun d’eux, pour ne pas préférer la partie mortelle et terrestre à la partie immortelle, et devenir ainsi un objet de rire et de pitié dans la tragédie et la comédie de cette vie insensée, enfin pour ne pas prêter à la partie immortelle la bassesse de la partie mortelle et devenir misérables et injustes par ignorance de ce que nous devons à chacune de ces deux parties. » On retrouve les mêmes idées développées de la manière la plus brillante dans l’homélie de saint Basile Sur le précepte : Observe-toi toi-même. Saint Basile nous paraît ne pas s’être inspiré seulement du Philèbe et du Phédon de Platon, mais encore avoir beaucoup emprunté au traité de Porphyre. Voici un passage extrait du § 3 de cette homélie : « Examine qui tu es et connais ta nature. Sache que ton corps est mortel et ton âme immortelle ; sache aussi qu’il y a en nous deux vies, l’une propre au corps et passagère, l’autre essentielle à l’âme et sans limite. Observe-toi toi-même, c’est-à-dire ne t’attache pas aux choses mortelles comme si elles étaient immortelles, et ne méprise pas les choses éternelles comme si elles étaient périssables. Dédaigne la chair : car elle est périssable. Aie soin de ton âme : car elle est immortelle. Observe-toi avec la plus grande attention, afin d’accorder à la chair et à l’âme ce qui convient à chacune d’elles : à la chair, de la nourriture et des vêtements ; à l’âme, des principes de piété, des mœurs douces, la pratique de la vertu et la répression des passions. »

  1. Les réflexions qui précèdent se rapportent au § 5 de Plotin, p. 58. Porphyre les a longuement développées dans le livre I de son traité De l’Abstinence des viandes. Voy. M. Vacherot, Histoire de l’École d’Alexandrie, t. II, p. 63.