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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS

à la terre, et, comme c’est de là que les corps des animaux terrestres ont été tirés, ils doivent y retourner et mourir. Mais si quelqu’un disait la même chose du feu, soutenant qu’il faut lui rendre tous les corps qui en ont été tirés pour en former les animaux célestes, que deviendrait l’immortalité promise par le Dieu souverain à tous ces dieux[1] ? Dira-t-on que cette dissolution ne se fait pas pour eux, parce que Dieu, dont la volonté, comme le dit Platon, surmonte tout obstacle, ne le veut pas[2] ? Qui empêche donc que Dieu ne le veuille pas non plus pour les corps terrestres, puisqu’il peut faire que ce qui a commencé existe sans fin, que ce qui est formé de parties demeure indissoluble, que ce qui est tiré des éléments n’y retourne pas ? Pourquoi ne ferait-il pas que les corps terrestres fussent impérissables ? Est-ce que Dieu n’est puissant qu’autant que le veulent les Platoniciens, au lieu de l’être autant que le croient les Chrétiens ? Vous verrez que les philosophes ont connu le pouvoir et les desseins de Dieu, et que les prophètes n’ont pu les connaître, c’est-à-dire que les hommes inspirés de l’esprit de Dieu ont ignoré sa volonté, et que ceux-là l’ont découverte qui ne se sont appuyés que sur d’humaines conjectures !

Ils devaient au moins prendre garde de ne pas tomber dans cette contradiction manifeste, de soutenir d’un côté que l’âme ne saurait être heureuse si elle ne fuit toute sorte de corps[3], et de dire de l’autre que les âmes des dieux sont bienheureuses[4], quoique éternellement unies à des corps, celle même de Jupiter, qui pour eux est le monde, étant liée à tous les éléments qui composent cette sphère immense de la terre aux deux. Platon veut que cette âme s’étende selon des lois musicales depuis le centre de la terre jusqu’aux extrémités du ciel, et que le monde soit un grand et heureux animal dont l’âme parfaitement sage ne doit jamais être séparée de son corps, sans toutefois que cette masse composée de tant d’éléments divers puisse la retarder ni l’appesantir[5]. Voilà les libertés que les philosophes laissent prendre à leur imagination, et en même temps ils ne veulent pas croire que des corps terrestres puissent devenir immortels par la puissance de la volonté de Dieu, et que les âmes y puissent vivre éternellement bienheureuses sans en être appesanties, comme font cependant leurs dieux dans des corps de feu, et Jupiter même, le roi des dieux, dans la masse de tous ces éléments ? S’il faut qu’une âme, pour être heureuse, fuie

  1. Voy. ibid., § 5, p. 140.
  2. Voy. ibid., § 1, p. 143.
  3. Voy. p. 431.
  4. Voy. Enn. II, liv. iii, § 9, p. 180.
  5. Voy. Enn. II, liv. ii, § 1, p. 160.