Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/578

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
437
PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE VIII.

où elle est libre de tout corps et purifiée de toutes les souillures de la chair. Aussi conviennent-ils que ce n’est pas seulement le corps qui excite dans l’âme des craintes, des désirs, des joies et des tristesses, mais qu’elle peut être agitée par elle-même de tous ces mouvements.

Ce qui importe, c’est de savoir quelle est la volonté de l’homme. Si elle est déréglée, ses mouvements seront déréglés, et si elle est droite, ils seront innocents et même louables. Car c’est la volonté qui est en tous ces mouvements, ou plutôt tous ces mouvements ne sont que des volontés. En effet, qu’est-ce que le désir et la joie, sinon une volonté qui consent à ce qui nous plaît ? et qu’est-ce que la crainte et la tristesse, sinon une volonté qui se détourne de ce qui nous déplaît ? Or, quand nous consentons à ce qui nous plaît en le souhaitant, ce mouvement s’appelle désir, et quand c’est en jouissant, il s’appelle joie. De même, quand nous nous détournons de l’objet qui nous déplaît avant qu’il nous arrive, cette volonté s’appelle crainte, et après qu’il est arrivé, tristesse. En un mot, la volonté de l’homme, selon les différents objets qui l’attirent ou qui la blessent, qu’elle désire ou qu’elle fuit, se change et se transforme en ces différentes affections. C’est pourquoi il faut que l’homme qui ne vit pas selon l’homme, mais selon Dieu, aime le bien, et alors il haïra nécessairement le mal ; or, comme personne n’est mauvais par nature, mais par vice, celui qui vit selon Dieu doit avoir pour les méchants une haine parfaite[1], en sorte qu’il ne haïsse pas l’homme à cause du vice, et qu’il n’aime pas le vice à cause de l’homme, mais qu’il haïsse le vice et aime l’homme. Le vice guéri, tout ce qu’il doit aimer restera, et il ne restera rien de ce qu’il doit haïr. » (Ibid., XIV, 5, 6 ; p. 64 de la trad.)

Bossuet a résumé ces idées de saint Augustin dans les termes suivants :

« Si on demande par où le mal peut trouver entrée dans la créature raisonnable au milieu de tant de bien que Dieu y met, il ne faut que se souvenir qu’elle est libre et qu’elle est tirée du néant. Parce qu’elle est libre, elle peut bien faire ; et parce qu’elle est tirée du néant, elle peut faillir : car il ne faut pas s’étonner que, venant pour ainsi dire de Dieu et du néant, comme elle peut par sa volonté s’élever à l’un, elle puisse aussi par sa volonté retomber dans l’autre, faute d’avoir tout son être, c’est-à-dire toute sa droiture. Or ce manquement volontaire de cette partie de sa perfec-

  1. Psal., cxxxvii, 22.