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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

sirs déréglés. » (Cité de Dieu, XIV, 3 ; t. III, p. 57-58 de la trad. de M. Saisset.)

« Il ne faut donc pas, lorsque nous péchons, accuser la chair en elle-même, et faire retomber ce reproche sur le Créateur, puisque la chair est bonne en son genre ; ce qui n’est pas bon, c’est d’abandonner le Créateur pour vivre selon le bien créé, soit qu’on veuille vivre selon la chair, ou selon l’âme ou selon l’homme tout entier, qui est composé des deux ensemble. Celui qui glorifie l’âme comme le souverain bien, et qui condamne la chair comme un mal, aime l’une et fuit l’autre charnellement, parce que sa haine, aussi bien que son amour, ne sont pas fondés sur la vérité, mais sur une fausse imagination. Les Platoniciens, je l’avoue, ne tombent pas dans l’extravagance des Manichéens et ne détestent pas avec eux les corps terrestres comme une nature mauvaise[1], puisqu’ils font venir tous les éléments dont ce monde visible est composé et toutes leurs qualités de Dieu comme Créateur[2]. Mais ils croient que le corps mortel fait de telles impressions sur l’âme, qu’il engendre en elle la crainte, le désir, la joie, la tristesse, quatre perturbations, pour parler avec Cicéron[3], ou, si l’on veut se rapprocher du grec, quatre passions[4], qui sont la source de la corruption des mœurs. Or, si cela est, d’où vient qu’Énée, dans Virgile, entendant dire à son père que les âmes retourneront dans les corps après les avoir quittés, est surpris et s’écrie :

« Ô mon père, faut-il croire que les âmes, après être montées au ciel, quittent ces sublimes régions pour revenir dans des corps grossiers ? Infortunés ! D’où leur vient ce funeste amour de la lumière ? » (Énéide, VI, vers 719-721.)

Je demande à mon tour si, dans cette pureté tant vantée où s’élèvent ces âmes, le funeste amour de la lumière peut leur venir de ces organes terrestres et de ces membres moribonds ? Le poëte n’assure-t-il pas qu’elles ont été délivrées de toute contagion charnelle alors qu’elles veulent retourner dans des corps ? Il résulte de là que, cette révolution éternelle des âmes[5] fût-elle aussi vraie qu’elle est fausse, on ne pourrait pas dire que tous les désirs déréglés leur viennent du corps, puisque, selon les Platoniciens et leur illustre interprète, le funeste amour de la lumière ne vient pas du corps, mais de l’âme, qui en est saisie au moment même

  1. Voy. Enn. II, liv. ix, § 18, p. 309.
  2. Ceci ne s’applique qu’à Plotin et à ses disciples : car, pour Platon, Dieu n’est que l’ordonnateur du monde. Voy. plus haut, p. 429.
  3. Tusculanes, IV, 6.
  4. Voy. Enn. II, liv. iii, § 9, p. 178.
  5. Voy. Enn. IV, liv. viii