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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE VIII.

l’homme. Il est vrai que « le corps corruptible appesantit l’âme (Sagesse, IX, 15) ; » d’où vient que l’Apôtre, parlant de ce corps corruptible, dont il avait dit un peu auparavant : « Quoique notre » homme extérieur[1] se corrompe (II, Cor., iv, 16), » ajoute : « Nous savons que si cette maison de terre vient à se dissoudre, Dieu doit nous donner dans le ciel une autre maison qui ne sera pas faite de la main des hommes. C’est ce qui nous fait soupirer après le moment de nous revêtir de la gloire de cette maison céleste, si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus. Car, pendant que nous sommes dans cette demeure mortelle, nous gémissons sous le faix ; et néanmoins nous ne désirons pas être dépouillés, mais revêtus par dessus, en sorte que ce qu’il y a de mortel en nous soit absorbé par la vie (Ibid., v. 1-4). » Nous sommes donc tirés en bas par ce corps corruptible comme par un poids ; mais, parce que nous savons que cela vient de la corruption du corps et non de sa nature et de sa substance, nous ne voulons pas en être dépouillés, mais être revêtus d’immortalité. Car ce corps demeurera toujours ; mais comme il ne sera point corruptible, il ne nous appesentira point. Il reste donc vrai qu’ici bas « le corps corruptible appesantit l’âme, et que cette demeure de terre abat l’esprit qui pense beaucoup, » et, en même temps, c’est une erreur de croire que tous les dérèglements de l’âme viennent du corps.

Vainement Virgile exprime-t-il en ces beaux vers la doctrine platonicienne :

« Filles du ciel, les âmes sont animées d’une flamme divine, tant qu’une enveloppe corporelle ne vient pas engourdir leur activité sous le poids de terrestres organes et de membres moribonds. » (Énéide, VI, vers 730-732.)

« Vainement rattache-t-il au corps ces quatre passions bien connues de l’âme : le désir et la crainte, la joie et la tristesse[2], où il voit la source de tous les vices :

« Et de là, dit-il, les craintes et les désirs, les tristesses et les joies de ces âmes captives qui, du fond de leurs ténèbres et de leur épaisse prison, ne peuvent plus élever leurs regards vers le ciel (Ibid., 733-734). »

Notre foi nous enseigne toute autre chose. Elle nous dit que la corruption du corps qui appesantit l’âme n’est pas la cause, mais la peine du premier péché ; de sorte qu’il ne faut pas attribuer tous les désordres à la chair, encore qu’elle excite en nous certains dé-

  1. Voy. plus haut, p. 369.
  2. Voy. plus haut, p. 369.