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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

créé la matière seconde, c’est-à-dire le chaos éternel ; il a produit seulement l’ordre du monde, mais non de toute éternité. » De plus, suivant Platon, la matière seconde était agitée par une âme désordonnée, dépourvue d’intelligence, cédant aux appétits naturels d’après les lois de l’aveugle nécessité. C’est en mettant l’intelligence dans cette âme que Dieu en a fait l’Âme du monde. « L’âme éternelle mentionnée dans le Phèdre, dit M. H. Martin[1], l’âme désordonnée décrite dans les Lois, l’essence variable, divisée dans les corps, cette puissance déraisonnable, cette nécessité, ἀνάγϰη, que, d’après le Timée[2], la raison, λόγος, peut subjuguer, mais non détruire, cette force instinctive inhérente à la matière corporelle, ξύμφυτος ἐπιθυμία, qui, d’après un passage du Politique[3], se révolterait, si Dieu cessait de veiller au maintien de l’ordre, et ramènerait l’ancien régime de la variété indéfinie, du désordre et du mal : tout cela n’est qu’une même chose, savoir l’Âme motrice du chaos, éternelle comme lui, en ce sens qu’elle n’a jamais commencé d’être, et dans laquelle Dieu a mis l’intellect pour en faire l’Âme du monde et établir l’ordre qui règne maintenant dans l’univers. De même, l’essence indivisible, vraiment éternelle, c’est-à-dire immuable, image surtout de la forme des idées, et que Dieu a unie à l’âme désordonnée, image de leur matière, c’est évidemment l’intellect, le νοῦς qui régularise l’action de la force motrice. »

Pour compléter ces rapprochements entre la doctrine de Plotin et celle de Platon sur la nature et l’origine du mal, nous ajoutons ici un passage du livre X des Lois auquel il est fait souvent allusion dans les Ennéades :

« Le roi du monde ayant remarqué que toutes nos opérations viennent de l’âme et qu’elles sont mélangées de vertu et de vice, que l’âme et le corps, quoiqu’ils ne soient pas éternels comme les vrais dieux, ne doivent néanmoins jamais périr (car si le corps ou l’âme venait à périr, toute génération d’êtres animés cesserait), et qu’il est dans la nature du bien, en tant qu’il vient de l’âme, d’être toujours utile, tandis que le mal est toujours funeste ; le roi du monde, dis-je, ayant vu tout cela, a imaginé dans la distribution de chaque partie le système qu’il a jugé le plus facile et le meilleur, afin que le bien eût le dessus et le mal le dessous dans l’univers. C’est par rapport à cette vue du tout qu’il a fait la combinaison générale des places et des lieux que chaque être doit prendre et occuper

  1. Ibid., t. I, p. 356.
  2. Voy. le passage cité plus haut, p. 428.
  3. Voy. le passage cité plus haut, p. 429.