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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE IV.

de Dieu, et ce qui est né pour exercer ces divines opérations. Quiconque les exerce les voit si justes et si parfaites, qu’il voudrait les exercer à jamais ; et nous avons dans cet exercice l’idée d’une vie éternelle et bienheureuse...

Là nous goûtons un plaisir si pur que tout autre plaisir ne nous paraît rien en comparaison. C’est ce plaisir qui a transporté les philosophes, et qui leur a fait souhaiter que la nature n’eût donné aux hommes aucunes voluptés sensuelles, parce que ces voluptés troublent en nous le plaisir de goûter la vérité toute pure. Qui voit Platon célébrer la félicité de ceux qui contemplent le beau et le bon, premièrement dans les arts, secondement dans la nature, et enfin dans leur source et dans leur principe, qui est Dieu ; qui voit Aristote louer ces heureux moments où l’âme n’est possédée que de l’intelligence de la vérité, et juger une telle vie seule digne d’être éternelle et d’être la vie de Dieu[1] ; qui voit les saints tellement ravis de ce divin exercice de connaître, d’aimer et de louer Dieu, qu’ils ne le quittent jamais, et qu’ils éteignent, pour le continuer durant tout le cours de leur vie, tous les désirs sensuels ; qui voit, dis-je, toutes ces choses, reconnaît dans les opérations intellectuelles un principe et un exercice de vie éternellement heureuse. Et le désir d’une telle vie s’élève et se fortifie d’autant

  1. Voici le passage célèbre d’Aristote auquel Bossuet fait allusion : « Ce n’est que pendant quelque temps que nous pouvons jouir de la félicité parfaite. Dieu la possède éternellement, ce qui nous est impossible. La jouissance, pour lui, c’est son action même. C’est parce qu’elles sont des actions, que la veille, la sensation, la pensée, sont nos plus grandes jouissances ; l’espoir et le souvenir ne sont des jouissances que par rapport à celles-là. Or la pensée en soi est la pensée de ce qui est en soi le meilleur, et la pensée par excellence est la pensée de ce qui est le bien par excellence. L’intelligence se pense elle-même en saisissant l’intelligible ; car elle devient elle-même intelligible à ce contact, à ce penser. Il y a donc identité entre l’intelligence et l’intelligible : car la faculté de percevoir l’intelligible et l’essence, voilà l’intelligence ; et l’actualité de l’intelligence, c’est la possession de l’intelligible. Ce caractère divin, ce semble, de l’intelligence se trouve donc au plus haut degré dans l’intelligence divine ; et la contemplation est la jouissance suprême et le souverain bonheur. Si Dieu jouit éternellement de cette félicité que nous ne connaissons que par instants, il est digne de notre admiration ; il en est plus digne encore si son bonheur est plus grand. Or, son bonheur est plus grand en effet. La vie est en lui : car l’action de l’intelligence est une vie, et Dieu est l’actualité même de l’intelligence ; cette actualité prise en soi, telle est sa vie parfaite et éternelle. » (Métaphysique, XII, 7 ; t. II, p. 223 de la trad. de MM. Pierron et Zévort.)