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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

parfaite, c’est-à-dire, à celle de l’homme le plus excellent [la sagesse]. Que ce soit donc l’intellect (νοῦς) ou quelque autre principe auquel appartient naturellement l’empire et la prééminence, et qui semble comprendre en soi la conception de tout ce qu’il y a de sublime et de divin, ou au moins ce qu’il y a en nous de plus divin, le parfait bonheur (ἡ τέλεια εὐδαιμονία) ne saurait être que l’action de ce principe dirigée par la vertu qui lui est propre et qui est purement contemplative [la sagesse][1]. Cette action est la plus puissante, puisque l’entendement est en nous ce qu’il y a de plus merveilleux, et qu’entre les choses qui peuvent être connues, celles qu’il peut connaître sont les plus importantes. Son action est aussi la plus continue : car il nous est plus possible de nous livrer, sans interruption, à la contemplation, que de faire sans cesse quelque chose que ce soit. Nous pensons aussi qu’il faut que le bonheur soit accompagné et pour ainsi dire mêlé de quelque plaisir : or, entre les actes conformes à la vertu, ceux qui sont dirigés par la sagesse sont incontestablement ceux qui nous causent le plus de joie ; et, par conséquent la sagesse semble comprendre en soi les plaisirs les plus ravissants par leur pureté et par la sécurité qui les accompagne[2]. D’un autre côté, la condition de se suffire à soi-même se trouve surtout dans la vie contemplative ; le sage, même dans l’isolement le plus absolu, peut encore se livrer à la contemplation, et il le peut d’autant plus qu’il a plus de sagesse. » (Éthique à Nicomaque, X, 7 ; p. 475-476 de la trad. de M. Thurot.)

L’analogie que présentent les opinions d’Aristote et de Plotin au sujet de la prééminence qu’ils accordent à la vie contemplative a donné à Gennade, plus connu sous le nom de George Scholarius, l’idée de les concilier, et, dans ce but, il a composé un ouvrage encore inédit, sous ce titre : Περὶ ἀνθρωπένης εὐδαιμονίας Ἀριστοτέλους ϰαὶ Πλωτίνον συμϐιϐαστιϰόν. (Voy. Bandini, Catalogue des Manuscrits grecs, latins et italiens de la Bibliothèque Laurentine, t. III, p. 363, 370, 403).

La doctrine qui fait consister le bonheur suprême de l’âme dans la vie contemplative, comme l’ont entendu Aristote et Plotin, se trouve reproduite dans le traité de Bossuet que nous avons déjà cité plusieurs fois précédemment (De la Connaissance de Dieu et de soi-même, chap. V, § 14) :

« La nature de l’âme est d’être formée à l’image de son auteur ; et cette conformité nous y fait entendre un principe divin et immortel. Car s’il y a quelque chose, parmi les créatures, qui mérite de durer éternellement, c’est sans doute la connaissance et l’amour

  1. Voy. p. 50, 352, 399-401.
  2. Voy. liv. iv, § 12, p. 86.