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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE IV.

qu’il obéit à la raison, ou qu’il la possède et qu’il en fait usage. Or cette vie étant susceptible d’être considérée sous deux points de vue [la puissance et l’acte], admettons qu’elle soit en acte ; car c’est principalement à ce point de vue qu’elle doit son nom. Si donc l’œuvre de l’homme est une activité de l’âme conforme à la raison (ψυχῆς ἐνέργεια ϰατὰ λόγον)[1] ; et si l’on peut affirmer qu’outre qu’elle est l’œuvre de l’homme en général, elle peut encore être celle de l’homme de bien, comme il y a l’œuvre du musicien et celle du musicien habile ; et si cette distinction s’applique aux œuvres de toute espèce, en ajoutant ainsi à l’œuvre elle-même la différence qui résulte d’une supériorité absolue en mérite ; s’il en est ainsi, et si l’œuvre de l’homme est un certain genre de vie qui consiste dans l’activité de l’âme et dans les opérations accompagnées de raison (ψυχῆς ἐνέργεια ϰαὶ πράξεις μετά λόγου), qu’il appartient à l’homme vertueux d’exécuter convenablement, et dont chacune ne peut être accomplie qu’autant qu’elle a la vertu qui lui est propre : il résulte de là que le bien de l’homme est l’activité de l’âme dirigée par la vertu (τὸ ἀνθρώπινον ἀγαθὸν ψυχῆς ἐνέργεια ϰατ’ ἀρετήν) , et, s’il y a plusieurs vertus, par celle qui est la plus parfaite.

Examinons maintenant le principe du bonheur, non-seulement d’après ses conséquences et par la définition qu’on en donne, mais aussi d’après ce qu’on dit communément sur ce sujet. Or, comme nous avons fait trois classes de biens, les biens extérieurs, les biens de l’âme et les biens du corps, nous plaçons au premier rang ceux de l’âme, et ce sont eux que nous appelons proprement des biens, attribuant à l’âme les actes et les opérations ; en sorte que notre langage est tout à fait conforme à l’opinion qui a été anciennement et universellement admise par tous les philosophes, que la fin de notre vie consiste dans ces actes et dans ces opérations : car, de cette manière, on voit qu’elle comprend les biens de l’âme et non pas les biens extérieurs. Cette définition se trouve confirmée par les expressions de bien vivre (τὸ εὔ ζῇν) et de bien agir (τὸ εὔ πράττειν), dont on se sert ordinairement en parlant d’un homme heureux, puisque bonne vie (εὐζωΐα) et bonne conduite (εὐπραξία) sont des expressions à peu près synonymes de bonheur[2].

Il n’y a que ceux qui agissent d’une manière conforme à la vertu, qui puissent avoir part à la gloire et au bonheur de la vie.

  1. Ibid., § 2, p. 73.
  2. Ibid., § 1, p. 70, note 2.