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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE III.

l’homme de la caverne : il se dégage de ses chaînes ; il se détourne des ombres vers les figures artificielles et la clarté qui les projette ; il sort de la caverne et monte aux lieux qu’éclaire le soleil ; et là, dans l’impuissance de porter directement les yeux sur les animaux, les plantes et le soleil, il contemple d’abord dans les eaux leurs images divines et les ombres des êtres véritables, au lieu des ombres d’objets artificiels, formées par une lumière que l’on prend pour le soleil. Voilà précisément ce que fait dans le monde intellectuel l’étude des sciences que nous avons parcourues ; elle élève la partie la plus noble de l’âme jusqu’à la contemplation du plus excellent de tous les êtres, comme tout à l’heure nous venons de voir le plus perçant des organes du corps s’élever à la contemplation de ce qu’il y a de plus lumineux dans le monde corporel et visible. — J’admets ce que tu dis : ce n’est pas que je n’aie bien de la peine à l’admettre, mais il me serait aussi difficile de le rejeter. Au surplus, comme ce sont des choses que nous n’avons pas à entendre seulement aujourd’hui, mais sur lesquelles il faut revenir plusieurs fois, supposons qu’il en est comme tu dis, venons-en à notre air, et étudions-le avec autant de soin que nous avons fait le prélude. Dis-nous donc en quoi consiste la dialectique, en combien d’espèces elle se divise, et par quels chemins on y parvient : car il y a apparence que ce sont ces chemins qui conduisent au terme où le voyageur fatigué trouve le repos et la fin de sa course. — Je crains fort que tu ne puisses me suivre jusque-là, mon cher Glaucon ; car pour moi, la bonne volonté ne me manquerait pas ; ce que tu aurais à voir, ce n’est plus l’image du bien, mais le bien lui-même[1], ou du moins ce qui me paraît tel. Que je me trompe ou non, ce n’est pas encore la question ; mais ce qu’il s’agit de prouver, c’est qu’il existe quelque chose de semblable : n’est-ce pas ? — Oui. — Et que la dialectique seule peut le découvrir à un esprit exercé dans les sciences que nous avons parcourues ; qu’autrement, cela est impossible. — C’est bien là ce qu’il s’agit de prouver. Au moins il est un point que personne ne nous contestera, c’est que la méthode dialectique est la seule qui tente de parvenir régulièrement à l'essence de chaque chose[2], tandis que la plupart des arts ne s’occupent que des opinions des hommes et de leurs goûts, de production et de fabrication, ou se bornent même à l’entretien des produits naturels et fabriqués. Quant aux autres, tels que la géométrie et les sciences qui l’accompagnent, nous avons dit qu’ils ont quelque relation avec

  1. Voy. liv. iii, § 5, p. 67.
  2. Voy. ibid.