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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE II.

un certain degré, et une autre vertu jusqu’à autre degré ? Que dire de la tempérance qui modère certaines choses et en supprime certaines autres ? On peut élever les mêmes questions au sujet des autres vertus, en consultant la prudence, qui jugera à quel degré les vertus sont parvenues. »

Les idées que Plotin se borne ici à énoncer, avec une concision qui tombe dans l’obscurité, sont reprises et développées par lui dans le § 6 du livre iii, p. 68-69. Voici ce passage qu’il est absolument nécessaire de rapprocher du précédent :

« La philosophie traite des mœurs : ici encore, c’est la Dialectique qui pose les principes ; la Morale n’a plus qu’à en faire naître les bonnes habitudes et à conseiller les exercices qui les engendrent. Il en est de même des vertus rationnelles, λογιϰαὶ ἕξεις : c’est à la Dialectique qu’elles doivent les principes qui semblent leur appartenir en propre : car le plus souvent elles s’occupent des choses matérielles [parce qu’elles modèrent les passions]. Les autres vertus impliquent aussi l’application de la raison aux passions et aux actions qui sont propres à chacune d’elles ; seulement la prudence y applique la raison d’une manière supérieure : elle s’occupe plus de l’universel ; elle considère si les vertus s’enchaînent les unes aux autres, s’il faut faire présentement une action, ou la différer, ou en choisir une autre. Or, c’est la Dialectique, c’est la science qu’elle donne, la sagesse, qui fournit à la prudence, sous une forme générale et immatérielle, tous les principes dont celle-ci a besoin... Pour les vertus, on peut posséder d’abord les vertus naturelles, puis s’élever, avec le secours de la sagesse, aux vertus parfaites. La sagesse ne vient donc qu’après les vertus naturelles ; alors elle perfectionne les mœurs ; ou plutôt, lorsque les vertus naturelles existent déjà, elles s’accroissent et se perfectionnent avec elle. Du reste, celle de ces deux choses qui précède donne à l’autre son complément. En général, avec les vertus naturelles, on n’a qu’une vue [une science] imparfaite et des mœurs également imparfaites, et ce qu’il y a de plus important pour les perfectionner, c’est la connaissance philosophique des principes d’où elles dépendent. »

Ce que Plotin dit de la prudence dans ces deux passages est parfaitement conforme au rôle qu’Aristote assigne à cette vertu dans l’Éthique à Nicomaque (VI, 5) :

« Quant à la prudence, on peut s’en faire une idée en considérant quels sont ceux que l’on appelle prudents : or, il semble que ce qui caractérise l’homme prudent, c’est la faculté de délibérer avec succès sur les choses qui lui sont bonnes et avantageuses, non pas sous quelques rapports particuliers, comme celui de la santé ou