purification[1] qu’elle opère, ils s’abandonnent à sa conduite, et la suivent partout où elle veut les mener. — Comment, Socrate ? — La philosophie, recevant l’âme liée véritablement et pour ainsi dire collée au corps, et forcée de considérer les choses non par elle-même, mais par l’intermédiaire des organes comme à travers les murs d’un cachot et dans une obscurité absolue, reconnaissant que toute la force du cachot vient des passions qui font que le prisonnier aide lui-même à serrer sa chaîne ; la philosophie, dis-je, recevant l’âme en cet état, l’exhorte doucement et travaille à la délivrer ; et pour cela, elle lui montre que le témoignage des yeux du corps est plein d’illusions, comme celui des oreilles, comme celui des autres sens ; elle l’engage à se séparer d’eux, autant qu’il est en elle ; elle lui conseille de se recueillir et de se concentrer en elle-même[2], de ne croire qu’à elle-même, après avoir examiné au dedans d’elle et avec l’essence même de sa pensée ce que chaque chose est en son essence, et de tenir pour faux tout ce qu’elle apprend par un autre qu’elle-même, tout ce qui varie selon la différence des intermédiaires ; elle lui enseigne que ce qu’elle voit ainsi, c’est le sensible et le visible ; ce qu’elle voit par elle-même, c’est l’intelligible et l’immatériel. Le véritable philosophe sait que telle est la fonction de la philosophie. L’âme donc, persuadée qu’elle ne doit pas s’opposer à sa délivrance, s’abstient, autant qu’il lui est possible, des voluptés, des désirs, des tristesses, des craintes ; réfléchissant qu’après les grandes joies et les grandes craintes, les tristesses et les désirs immodérés, on n’éprouve pas seulement les maux ordinaires, comme d’être malade, ou de perdre sa fortune, mais le grand et le dernier de tous les maux, et même sans en avoir le sentiment. — Et quel est donc ce mal, Socrate ? — C’est que l’effet nécessaire de l’extrême jouissance et de l’extrême affliction est de persuader à l’âme que ce qui la réjouit ou l’afflige est très-réel et très-variable, quoiqu’il n’en soit rien. Or, ce qui nous réjouit ou nous afflige, ce sont principalement les choses visibles ; n’est-ce pas ? — Certainement. — N’est-ce pas surtout dans la jouissance et la souffrance que le corps subjugue et enchaîne l’âme ? — Comment cela ? — Chaque peine, chaque plaisir, a, pour ainsi dire, un clou avec lequel il attache l’âme au corps[3], la rend semblable, et lui fait croire que rien n’est vrai que ce que le corps lui dit. Or, si elle emprunte au corps ses
- ↑ Voy. Enn. I, liv. ii, § 4 , p. 56.
- ↑ L’acte par lequel l’âme se recueille et se concentre en elle-même est la conversion. Voy. plus haut, p. 348.
- ↑ Voy. Porphyre, De l’Abstinence des viandes, I, 33-38.