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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

sophie, dans quel état se trouvait-t-elle ? Était-elle mêlée au corps ?... Elle était en partie attachée au corps, en partie séparée. J’appelle partie séparée du corps celle qui se sert du corps comme d’un instrument [l’âme raisonnable], partie attachée au corps celle qui s’abaisse au rang d’instrument [l’âme irraisonnable ou nature animale]. Or la philosophie élève cette deuxième partie au rang de la première [en soumettant la nature animale à l’âme raisonnable] ; quant à la première partie, elle la détourne, autant que nos besoins le permettent, du corps dont elle se sert, en sorte qu’elle ne s’en serve pas toujours [et qu’elle se livre à la contemplation du monde intelligible][1]. »

Plotin complète sa pensée en ajoutant plus loin (§ 10, p. 47) : « Nous désigne deux choses : ou l’âme en y joignant la partie animale, ou simplement la partie supérieure ; la partie animale, c’est le corps vivant. L’homme véritable diffère du corps : pur de toute passion, il possède les vertus intellectuelles[2], vertus qui résident dans l’âme, soit quand elle est séparée du corps, soit quand elle en est seulement séparable par la philosophie, comme elle l’est ici bas ; car, lors même qu’elle nous paraît tout à fait séparée, l’âme est toujours dans cette vie accompagnée d’une partie inférieure qu’elle illumine. Quant aux vertus qui consistent, non dans le bon usage de la raison, mais dans certaines mœurs, dans certains exercices, elles appartiennent à la partie commune ; c’est à elle seule aussi que les vices sont imputables, puisque c’est elle qui éprouve l’envie, la jalousie, les émotions d’une lâche pitié. »

De cette doctrine découle la réponse que Plotin fait à la troisième question : Comment peut-on séparer l’âme du corps ? Cette réponse, qui est développée dans les livres suivants, peut se formuler ainsi : il y a trois moyens de séparer l’âme du corps : la vertu, qui affranchit l’âme des passions, l’amour de la beauté intelligible, qui l’élève au-dessus des choses terrestres, et la contemplation, qui la détache des sens et de l’imagination en la tournant vers l’intelligence (p. 39, 54-60, 65, 75, 107-112, 134-139, 179-187).

Ces idées sont empruntées à Platon qui s’exprime ainsi :

« Ceux qui prennent quelque intérêt à leur âme, et qui ne vivent pas pour flatter le corps, ne tiennent pas le même chemin que les autres qui ne savent où ils vont ; mais, persuadés qu’il ne faut rien faire qui soit contraire à la philosophie, à l’affranchissement et à la

  1. Voy. Porphyre, De l’Abstinence des viandes, liv. I, 30-57.
  2. Cette distinction des vertus intellectuelles et des vertus morales est empruntée à Aristote. Voy. p. 400.