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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS

« Si vivre, c’est en même temps changer et demeurer sans cesse, si un être organisé, bien qu’entièrement renouvelé dans sa substance et complètement transformé, reste pourtant le même individu[1], il y a nécessairement en lui quelque chose de supérieur à toutes ces combinaisons qui le constituent tour à tour, à toutes ces apparences sous lesquelles il se présente à nos regards... Au-dessus des faits temporaires et accidentels de la vie, il y a ce qui les relie et les domine tous, au-dessus de tous les modes, le type dont ils dérivent : ce type que l’observation même nous conduit à admettre pour tout être vivant, quelque hypothèse qu’on veuille former sur les causes des phénomènes dont il est le théâtre. Ce type, c’est le modèle propre à chaque existence, selon lequel elle se déroule, selon lequel s’exerce, tant qu’elle subsiste, l’activité propre de l’être organisé ; qu’elle tend dès le premier instant à réaliser ; qu’elle réalise si rien ne vient interrompre prématurément ou faire dévier le cours des phénomènes vitaux, et qui, là même où elle n’atteint pas le but, nous l’indique du moins par la convergence manifeste de tous les faits biologiques vers ce terme commun ; si bien qu’elle dessine pour l’esprit, au défaut du modèle lui-même ses premiers linéaments, et nous le montre encore vivant où il n’y a pas d’existence actuelle[2]. C’est ainsi que dans un œuf ou une graine, dans un végétal ou un animal nouvellement éclos, dans un embryon ou un fœtus, une larve, comme dans un enfant, nous apercevons, outre les matériaux qui le constituent passagèrement, ce qui fait qu’il sera un jour autre qu’il ne nous apparaît, c’est-à-dire, de quelque nom qu’on veuille se servir, le germe, le principe de ses développements ultérieurs[3] ». Est quod futurus est, expres-

  1. La forme du corps vivant lui est plus essentielle que la matière. » (Cuvier, Règne animal, Introduction.) « La vie est un tourbillon. » (Ibidem, t. I, p. 11.) On retrouve là le principe d’Héraclite : « Les corps sont dans un écoulement continuel. » Voy. Enn. II, liv. i, § 2, p. 145.
  2. La définition que M. Isid. Geoffroy Saint-Hilaire donne ici du type est conforme à cette idée des Stoïciens et de Plotin que la raison séminale ou génératrice est une force contenant et développant avec ordre, par sa seule vertu, tous les modes de l’existence du corps qu’elle anime, toutes ses actions et ses passions depuis sa naissance jusqu’à sa destruction : « In semine omnis futuri ratio hominis inclusa est : et legem barbæ et canorum nondum natus infans habet ; totius enim corporis et sequentis ætatis in parvo occultoque lineamenta sunt. » (Sénèque, Questions Naturelles, III, 29). Plotin dit aussi : « Les raisons séminales contiennent tous les accidents qui arrivent aux êtres engendrés. » (Enn. II, liv. iii, § 16, p. 187).
  3. Dans une raison séminale, toutes choses sont ensemble ; dans un corps, tous les organes sont séparés. » (Enn. II, liv. vi, § 1, p. 235.)