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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

présente à la matière disposée de telle façon (puisque l’âme est telle chose, selon qu’elle est dans telle disposition), même sans le corps, constitue l’homme (ἡ ψυχὴ ἡ τοιαύτη ἡ ἐγγενομένη τῇ τοιαύτῃ ὕλῃ, ἅτε οὖσα τοῦτο οἶον οὔτω διαϰειμένη, ϰαὶ ἄνευ τοῦ σώματος, ἄνθρωπος)[1].

Elle façonne dans le corps une forme à sa ressemblance ; elle produit ainsi, autant que le comporte la nature du corps, une autre image de l’homme, comme le peintre lui-même fait une image du corps : elle produit, je le répète, un homme inférieur [l’homme sensitif, l’animal] qui possède la forme de l’homme, ses raisons, ses mœurs, ses dispositions, ses facultés, mais d’une manière imparfaite, parce qu’il n’est pas le premier homme [l’homme intellectuel]. Il a des sensations d’une autre espèce, des sensations qui, quoiqu’elles paraissent claires, sont obscures, si on les compare aux sensations supérieures dont elles sont les images. L’homme supérieur [l’homme raisonnable] est meilleur, a une âme plus divine et des sensations plus claires[2]. C’est lui sans doute que Platon

  1. Dans cette définition, Plotin s’est proposé d’exprimer deux idées : 1° L’âme est l’homme (principe emprunté à Platon, p. 367, note 1) ; 2° l’âme est la cause et le principe du corps vivant (principe emprunté à Aristote, De l’Âme, II, 4 ; p. 189 de la trad.). Les expressions : l’âme de telle nature, la matière disposée de telle façon (organisée) l’âme est telle chose selon qu’elle est dans telle disposition, paraissent empruntées à Aristote : « Pour chaque être il faut chercher spécialement quelle est l’âme dont il est doué ; et ainsi, quelle est l’âme de la plante, celle de l’homme ou celle de bête (De l’Âme, II, 3 ; p. 185 de la trad.)... L’âme est dans le corps fait de telle façon (ib., 2 ; p. 179 de la trad.)... D’autres philosophes se bornent à dire ce qu’est l’âme sans dire un mot du corps qui doit la recevoir, comme s’il était possible, ainsi que le veulent les fables pythagoriciennes, que la première âme venue entrât par hasard dans le premier corps venu. Chaque chose, au contraire, paraît avoir une espèce et une forme qui lui sont propres (ib., I, 3 ; p. 134 de la trad.). » Plotin s’est évidemment proposé d’éviter, dans sa définition de l’homme, d’encourir le reproche qu’Aristote adresse aux Pythagoriciens. Saint Augustin définit l’âme raisonnable à peu près de la même manière : « Animus mihi videtur esse substantia quœdam rationis particeps regendo corpori accommodata. » (De Quantitate animi, I, 13.) Bossuet, dans son traité De la Connaissance de Dieu et de soi-même (chap. IV, § 1), traduit cette définition : « Nous pouvons définir l’âme raisonnable : substance intelligente née pour vivre dans un corps et lui être intimement unie. » Leibniz dit aussi : « il semble qu’il faut ajouter quelque chose de la figure et de la constitution du corps à la définition de l’homme, lorsqu’on dit qu’il est un animal raisonnable. » (Nouveaux Essais, II, § 8.)
  2. Voy. M. Ravaisson, t. II, p. 397-398.