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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

perpétuelle et sage pour toute la suite des temps. Ainsi furent formés le corps visible du ciel, et l’Âme, invisible, mais participant à la raison et à l’harmonie des êtres intelligibles et éternels, produite par l’être le plus parfait, et elle-même la plus parfaite des choses produites. » (Timée, p. 36, trad. de M. H. Martin, p. 99.)

Il faut toute la prévention de Plotin pour prétendre retrouver dans ces deux passages obscurs de Platon l’idée de la présence de l’âme dans le corps, dans le sens où il l’entend lui-même. Évidemment ce n’est pas au Timée que Plotin a emprunté sa théorie ; c’est à cette sagesse orientale dont la connaissance donna au Platonisme une nouvelle vie dans l’École d’Alexandrie[1].

Dans la Kabbale, c’est par la présence de Dieu au milieu de la création qu’est expliqué le rapport de Dieu avec le monde : « D’après le Zohar, dit M. Franck, toute forme de l’existence, depuis la matière jusqu’à l’éternelle sagesse, est une manifestation, ou, si l’on veut, une émanation de l’Être infini. Mais il ne suffit pas que toutes choses viennent de Dieu pour avoir de la réalité et de la durée ; il faut que Dieu soit toujours présent au milieu d’elles[2]. »

La même idée joue le même rôle dans les écrits de Philon :

« Dieu remplit tout, pénètre tout ; il ne permet pas que rien reste vide et abandonné de lui-même[3]... Dieu n’est nulle part : car le lieu et l’espace ayant été engendrés avec les corps, le Créateur ne saurait être renfermé dans la créature ; il est partout : car, par ses divines puissances il pénètre à la fois la terre et l’eau, l’air et le ciel, et remplit les moindres parties de l’univers, les liant toutes les unes aux autres par des liens invisibles[4]... Dieu est appelé lui-même le lieu universel, parce qu’il contient toutes choses et n’est contenu dans aucune, parce qu’il est l’abri de l’univers et qu’il est sa propre place, qu’il se renferme et se contient lui-même[5] ».

L’idée de l’irradiation[6], à laquelle Plotin a recours à chaque instant pour expliquer le rapport de la puissance créatrice à la créature, a été puisée à la même source et montre avec la dernière évidence que, dans cette partie de son système, il s’est inspiré de l’Orient[7].

  1. M. Chauvet dit avec raison à ce sujet: « C’est la méthode de Plotin, ce sera la constante méthode de ses successeurs, de rapporter à la Grèce ce qu’il y a de plus oriental dans leurs systèmes. » (Des Théories de l’entendement humain dans l’antiquité, p. 481.)
  2. M. Franck, p. 200, 212. Il cite (p. 238) un passage du Zohar où cette idée est ainsi exprimée : « N’est-ce pas le comble de la gloire que la Reine (la Schéhinah ou la présence divine) descende au milieu des justes ? »
  3. Philon, Genesis, III, 8.
  4. De linguarum confusione.
  5. De Somnis, I.
  6. Voy. le passage du Zohar cité p. 374.
  7. M. Ravaisson explique (t. II, p. 359-379) comment cette doctrine a passé de