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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

peut pas être : elle est quelque chose du corps[1], et ce quelque chose n’est ni la figure, ni le mouvement, ni un accident quelconque, mais l’essence et l’acte du corps (οὐσία ϰαὶ ένέργεια σώματός τινος)[2]... Elle est ce qui y produit l’accord et l’harmonie, la cause qui y détermine, y dirige, y règle le mouvement. Ce n’est pas une unité de mélange et de composition, un nombre, mais une unité simple, l’unité de la forme et de l’acte[3].

Ce n’est donc pas une puissance dont le corps serait la réalisation, mais la réalité dernière d’un corps (ἐντελέχεια σώματός τινος)[4]. Le corps, doué d’abord du mouvement naturel, puis organisé et toutes ses parties disposées pour les fonctions vitales, il ne lui manque pour vivre qu’une seule chose, l’acte même de la vie, et cet acte, c’est l’âme. « L’âme est l’entéléchie première d’un corps naturel, qui a la vie en puissance ; et il faut entendre, d’un corps qui est organique (ψυχή ἐστιν ἐντελέχεια ἡ πρώτη σώματος φυσιϰοῦ δυνάμει ζωὴν ἔχοντος· τοιοῦτον δὲ ὂ ἄν ᾖ ὀργανιϰόν)[5] ».

Alexandre d’Aphrodisiade a modifié la doctrine d’Aristote en la commentant, comme le dit M. Ravaisson (t. II, p. 300) :

« L’âme [selon Alexandre] est dans le corps comme toute forme est en sa matière. Aussi en est-elle inséparable comme une figure, une limite, est inséparable de l’étendue qu’elle termine. Elle n’en est sé-

  1. De l’Âme, II, 2 ; p. 179 de la trad.
  2. Métaphysique, VIII, 3.
  3. De l’Âme, I, 5 ; p. 153, 158 de la trad.
  4. De l’Âme, II 1, 2 ; p. 164, 180 de la trad.
  5. De l’Âme, II, 1 ; p. 164 de la trad. M. Isid. Geoffroy Saint-Hilaire (Hist. gén. des corps organisés, t. II, p. 58) définit l’organisation dans les termes suivants : « L’organisation, c’est l’association intime et harmonique de parties plus ou moins hétérogènes, se complétant par leur diversité même, pour constituer solidairement un système, un tout, un individu. D’où ce consensus unus, cette conspiratio una déjà signalée par Hippocrate (Liber de Alimento) et d’où aussi cette célèbre définition de Kant, qui exprime si bien la solidarité de toutes les parties de l’être vivant : « Un produit organisé de la nature est celui dans lequel tout est but, et aussi, réciproquement, moyen (Der Kritik der Urtheilskraft). « La vie, c’est le jeu même de ces parties, impossible sans leur solidarité et leur harmonie, par conséquent sans l’organisation ; c’est l’action extérieure et intérieure de cet individu, et par là même la manifestation de son individualité ; d’où il suit que la vie peut encore être dite l’action propre des êtres organisés sur eux-mêmes et sur le monde extérieur. » Ces idées sur l’organisation sont évidemment conformes à la doctrine qu’Aristote a professée à ce sujet, doctrine que Plotin, s’inspirant à la fois d’Aristote et des Stoïciens, a exprimée dans le livre iii de l’Ennéade II (§ 5, p. 172-173 ; § 7, p. 175-176 ; § 12, p. 182-183) en termes presque identiques à ceux qu’emploie ici M. Isid. Geoffroy Saint-Hilaire.