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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

tielle de la conscience, savoir la simplicité de l’être qui en est doué, la refuse à l’âme, où nous la constatons, pour la rapporter exclusivement à l’intelligence, où nous ne pouvons que l’induire ?… C’est que, tandis qu’Aristote met la conscience partout, parce qu’il identifie partout objet et sujet, Plotin ne la met que dans l’intelligence, parce qu’il n’admet cette identité qu’au sein de l’intelligence. Or déplacer ainsi la conscience, c’est la détruire. Dans ce système, l’homme se connaît bien au sein de l’intelligence, comme objet intelligible ; il ne se connaît pas comme être distinct, réel, individuel, personnel. Il peut bien dire l’homme, l’âme, comme il dit : l’être, le vrai, le beau ; il ne dit jamais : moi. Il se connaît, il n’a pas conscience de lui-même. »

Il serait étrange que Plotin, qui, comme on le voit par les rapprochements que nous venons de faire entre sa doctrine et celle d’Aristote, connaissait si bien le traité De l’Âme et en introduisait les principes les plus importants dans son propre système, eût commis une pareille erreur. Mais il suffit de lire avec un peu d’attention les Ennéades, et d’en comparer la doctrine à celle d’Aristote, pour se convaincre que le reproche de M. Chauvet n’est pas fondé.

Les idées d’Aristote sur la conscience sont exposées dans deux passages principaux. Le premier se trouve dans le traité De l’Âme (III, 2, p. 203 de la trad. de M. Barthélemy-Saint-Hilaire) :

« Comme nous sentons que nous voyons et entendons, il faut absolument que ce soit par la vue, ou par un autre sens, que l’on sente que l’on voit. Mais alors ce même sens s’appliquera et à la vue et à la couleur, qui est l’objet de la vue ; il y aura donc deux sens pour le même objet, ou bien la vue se percevra elle-même. De plus, si l’on suppose un autre sens que la vue, ou l’on sera forcé d’aller ainsi à l’infini, ou bien le sens, quel qu’il soit, aura la sensation de lui-même ; et alors autant vaut admettre cela pour le premier sens. »

Le second passage se trouve dans l’Éthique à Nicomaque (IX, 9) :

« Tout homme qui voit, ou entend, ou marche, sent qu’il voit, qu’il entend, qu’il marche ; il en est ainsi de tous les autres actes. Il y a en nous quelque chose qui sent que nous agissons. Nous sentons donc que nous sentons, et nous pensons que nous pensons. Or, sentir que nous sentons et que nous pensons, c’est sentir que nous sommes : car être, c’est sentir ou penser. »

Plotin nous paraît ne pas avoir signalé le fait de conscience avec moins de force et de précision.

Dans le livre ix de l’Ennéade II, § 1, p. 260, après avoir établi que l’intelligence ne peut penser sans savoir qu’elle pense, il ajoute :