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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

On pourrait demander, en supposant que l’intelligence soit parfaitement simple, impassible, et n’ait rien de commun avec quoi que ce soit, ainsi que le veut Anaxagore, comment elle peut penser, si penser c’est éprouver et souffrir quelque chose ?... Souffrir selon quelque rapport commun s’explique par la distinction que l’intelligence est en puissance comme les choses mêmes qu’elle pense, sans en être aucune en réalité, en entéléchie, avant que de les penser. Évidemment il en est ici comme d’un feuillet où il n’y a rien d’écrit en réalité, en entéléchie, et c’est là le cas même de l’intelligence. De plus, elle est elle-même intelligible, comme le sont toutes les choses intelligibles. Pour les choses sans matière, l’être qui pense et l’objet qui est pensé se confondent et sont identiques ; ainsi, la science spéculative et l’objet su de cette façon sont un seul et même objet. Resterait à rechercher, il est vrai, pourquoi l’intelligence ne pense pas toujours. Mais c’est dans les choses matérielles que sont en puissance toutes les choses intelligibles. Par conséquent, l’intelligence ne sera pas dans les choses matérielles, puisque l’intelligence est précisément la puissance sans matière de ces choses mêmes[1]. Mais c’est dans l’intelligence que sera réellement l’objet intelligible...


    la manière qu’il le peut être... L’entendement, au contraire, n’est jamais forcé à errer ; jamais il n’erre que faute d’attention ; et s’il juge mal en suivant trop vite les sens ou les passions qui en naissent, il redressera son jugement, pourvu qu’une droite volonté le rende attentif à son objet et à lui-même. Secondement, le sens est blessé et affaibli par les objets les plus sensibles ... Au contraire, plus un objet est clair et intelligible, plus il est connu comme vrai, plus il contente l’entendement, et plus il le fortifie. La recherche en peut être laborieuse, mais la contemplation en est toujours douce. C’est ce qui a fait dire à Aristote que le sensible le plus fort offense le sens, mais que le parfait intelligible récrée l’entendement et le fortifie. D’où ce philosophe conclut que l’entendement, de soi, n’est peu attaché à un organe corporel, et qu’il est, par sa nature, séparable du corps. Troisièmement, le sens n’est jamais touché que de ce qui passe ; et ces choses mêmes qui passent, dans le peu de temps qu’elles demeurent, il ne les sent pas toujours de même... Au contraire, ce qui a été une fois entendu ou démontré paraît toujours le même à l’entendement. S’il nous arrive de varier sur cela, c’est que les sens et les passions s’en mêlent ; mais l’objet de l’entendement est immuable et éternel : ce qui lui montre qu’au-dessus de lui il y a une vérité éternellement subsistante. Ces trois grandes perfections de l’intelligence nous feront voir en leur temps qu’Aristote a parlé divinement quand il a dit de l’entendement et de sa séparation d’avec les organes ce que nous venons de rapporter. »

  1. Spirituel, c’est immatériel. Et saint Thomas appelle immatériel ce qui non-seulement n’est pas matière, mais qui de soi est indépendant de la matière. Et cela même, selon lui, est intellectuel. Il n’y a que l’intelligence qui d’elle-