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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

d’abord qu’en puissance. Elle ne souffre rien et n’est pas altérée... Sentir les choses ressemble à les dire ou les penser simplement. Mais quand la chose est agréable ou pénible, c’est une sorte d’affirmation ou de négation que fait l’âme en la poursuivant ou en la fuyant ; et avoir du plaisir ou de la douleur, c’est, pour la moyenne sensible, agir à l’égard du bien ou du mal, en tant que les choses sont l’un ou l’autre. La haine en acte pour le mal, et le désir en acte pour le bien, ne sont que la douleur et le plaisir ; le principe qui, dans l’âme, désire, et celui qui hait, ne sont pas différents entre eux, pas plus qu’ils ne le sont du principe qui sent ; la façon d’être est seule diverse[1]. » (De l’Âme, III, 7 ; p. 314 de la trad.)

4. Opinion.

« L’opinion se rapporte à la sensation (Enn. I, liv. i, § 2 , p. 38)... Admettrons-nous que la souffrance a son principe dans cette opinion ou ce jugement qu’un malheur nous arrive à nous-mêmes ou à quelqu’un des nôtres, qu’alors il en résulte une émotion désagréable dans le corps et par suite dans tout l’animal[2] ? Mais on ne voit pas à qui appartient l’opinion, si c’est à l’âme ou au composé de l’âme et du corps ? D’ailleurs, l’opinion de la présence d’un mal n’entraîne pas toujours la souffrance : il est possible que, malgré une telle opinion, on n’éprouve aucune affliction, que par exemple on ne s’irrite pas en se croyant méprisé, de même qu’on peut n’éprouver aucun désir, même dans l’attente d’un bien (liv. i, § 5, p. 45). L’opinion est trompeuse, et nous fait commettre bien du mal (liv. i, § 9, p. 45)... L’opinion fausse vient à l’âme de ce que [ici-bas] elle n’est plus au sein de la vérité, et elle n’y est plus parce que [en vertu de son union avec le corps] elle n’est plus pure (liv. viii, § 15, p. 139). »

Voici comment Aristote s’exprime sur le rapport de l’opinion avec la sensation :

« Avoir une opinion ne dépend pas de nous ; c’est un fait nécessaire, l’opinion pouvant d’ailleurs être vraie ou fausse. Il y a plus : quand notre opinion se rapporte à quelque chose de terrible et de

  1. Voy. encore un autre passage d’Aristote, que nous citons p. 369.
  2. « Le raisonnement peut servir à faire naître les passions. Nous connaissons par la raison le péril qui nous fait craindre, et l’injure qui nous met en colère ; mais, au fond, ce n’est pas cette raison qui fait naître cet appétit violent de fuir ou de se venger ; c’est le plaisir ou la douleur que nous causent les objets ; et la raison, au contraire, d’elle-même tend à réprimer ces mouvements impétueux. » (Bossuet, ibidem, chap. I, § 19.)