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PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

« La faculté de sentir, qui est propre à l’âme, ne doit pas percevoir les objets sensibles eux-mêmes, mais seulement leurs formes, imprimées à l’animal par la sensation. Car ces formes ont déjà quelque chose de la nature intelligible. La sensation extérieure propre à l’animal n’est que l’image de la sensation propre à l’âme, sensation qui, par son essence même, est plus vraie, plus réelle, puisqu’elle consiste seulement à regarder des images en restant impassible. C’est de ces images, au moyen desquelles l’âme a seule le pouvoir de diriger l’animal, c’est, disons-nous, de ces images que dérivent le raisonnement, l’opinion, la pensée, qui nous constituent principalement[1]. » (Enn. I, liv. i, § 7, p. 43.)

Ces deux passages de Plotin résument, sous une forme très-concise, les idées qui sont développées par Aristote sur le même sujet[2] :


    péripatéticiens de saint Thomas, qu’il cite chap. V, et sur les écrits platoniciens de saint Augustin.

  1. La distinction de la sensation extérieure et de la sensation intérieure se trouve encore dans Bossuet (ibidem, chap. 1, § 5) : « On appelle sens extérieur celui dont l’organe paraît au dehors et qui demande un objet actuellement présent. Tels sont les cinq sens que chacun connaît... On appelle sens intérieur celui dont les organes ne paraissent pas et qui ne demande pas un objet externe actuellement présent. On range ordinairement parmi les sens intérieurs cette faculté qui réunit les sensations, qu’on appelle le sens commun, et celle qui les conserve et les renouvelle, c’est-à-dire, l’imaginative.
  2. Nous nous bornons ici à indiquer un simple rapprochement. Nous expliquerons, dans les notes sur l’Enn. IV, la différence qu’il y a entre la doctrine d’Aristote et celle de Plotin sur la connaissance des objets sensibles. Voici d’ailleurs l’opinion de M. Ravaisson sur ce sujet : « Il est vrai qu’Aristote avait représenté la sensation comme un phénomène passif qui consistait à recevoir en soi les formes des objets sensibles. Mais, sous cette apparence, la véritable théorie qu’il propose, théorie par laquelle il vient rendre à la sensation la valeur que lui refusait le Platonisme, c’est que dans la sensation, en tant qu’elle est une connaissance, il n’y a point de passion, d’altération proprement dite de l’âme, mais seulement cette sorte de changement par lequel on passe de la possession à l’usage, de l’habitude à l’acte ; c’est que les objets sensibles ne servent qu’à faire agir le sens ; c’est que l’âme est en puissance toutes les formes sensibles, comme l’intelligence toutes les formes intelligibles ; c’est enfin que toutes les formes sensibles ne sont autre chose, dans le fond, que les fonctions ou les actes de l’âme. La théorie que Plotin oppose à l’opinion vulgaire [qui fait consister la sensation dans l’impression de l’objet sensible sur le sens ou sur l’âme] est donc la théorie même d’Aristote. Seulement, repoussant toute similitude tirée des modifications passives de la matière, il réduit l’idée de la perception sensible, avec plus de précision qu’Aristote n’avait paru le faire, à celle de l’activité cognitive qui trouve en soi son véritable objet. » (Essai sur la Métaphysique d’Aristote, t. II, p. 404.)