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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

ou bien est-ce parler conformément à l’intelligence ? Nous ne sommes pas l’intelligence : nous parlons conformément à l’intelligence par la première partie de la raison discursive qui reçoit les impressions de l’intelligence...

C’est la raison discursive qui nous constitue essentiellement. Les actes de l’intelligence nous sont supérieurs ; ceux de la sensibilité, inférieurs : nous, nous sommes la partie principale de l’âme, la partie qui forme une puissance moyenne entre ces deux extrêmes, tantôt s’abaissant vers la sensibilité, tantôt s’élevant vers l’intelligence. On reconnaît que la sensibilité est nôtre parce que nous sentons à chaque instant. Il ne paraît pas évident que l’intelligence soit nôtre, parce que nous ne nous en servons pas toujours, et qu’elle est séparée en ce sens qu’elle n’incline pas vers nous, que c’est nous plutôt qui élevons nos regards vers elle. La sensation est notre messager, l’intelligence notre roi. Nous sommes donc rois quand nous pensons conformément à l’intelligence ; or, cela peut avoir lieu de deux manières : ou bien nous avons reçu de l’intelligence des impressions et des règles qui sont pour ainsi dire gravées en nous, nous sommes remplis en quelque sorte par l’intelligence ; ou bien nous pouvons en avoir la perception et l’intuition par ce qu’elle nous est présente[1]. »

La gradation observée ici par Plotin qui s’élève des Sens à la Raison discursive, et de la Raison discursive à l’Intelligence, est conforme à celle que Platon établit dans le livre VI de la République. Elle se retrouve dans le morceau suivant de saint Augustin :

« De la considération des choses corporelles, j’étais venu à celle de l’âme, qui sent par le moyen du corps, et de là à cette faculté intérieure de l’âme à laquelle les sens rapportent ce qu’ils ont aperçu des choses du dehors[2] et qui est le plus haut degré de la connaissance chez les animaux. De là, j’étais monté jusqu’à la faculté qui raisonne, et à qui il appartient de prononcer sur ce qui est rapporté par les sens ; et ayant reconnu que celle-là même était sujette au changement, je m’étais retiré jusqu’au plus haut de mon intelligence. Ce fut là qu’écartant toutes les illusions de la coutume et tous les fantômes de l’imagination, je me demandai quelle était donc cette lumière dont ma raison était éclairée, lorsqu’elle prononçait sans hésiter que ce qui est incapable de changement vaut mieux que ce qui en est capable, et d’où lui venait même la notion qu’elle avait de cette nature immuable qu’elle n’aurait

  1. Voy. p. 346.
  2. Cette faculté est le sens commun d’Aristote.