Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
327
PREMIÈRE ENNÉADE, LIVRE I.

que, l’ayant déjà rencontré, elle prononce, avec le secours de la mémoire, que c’est Socrate. Si elle développe l’image de Socrate, alors elle divise ce que lui fournit l’imagination. Si elle ajoute que Socrate est bon, elle parle encore des choses connues par les sens, mais ce qu’elle en affirme, savoir la bonté, elle le tire d’elle-même, parce qu’elle a en elle-même la règle du bien[1]. Mais a-t-elle en elle-même le bien ? C’est qu’elle est conforme au bien, et qu’elle en reçoit la notion de l’intelligence qui l’illumine : car cette partie de l’âme [la raison discursive] est pure et reçoit des impressions de l’intelligence[2].

Le propre de l’Intelligence (νοῦς) est de se penser elle-même et de contempler les choses qu’elle a en elle-même. Dirons-nous que l’intelligence pure est une partie de l’âme ? Non : nous dirons cependant qu’elle est nôtre. Elle est autre que la raison discursive, elle est élevée au-dessus d’elle, et, d’un autre côté, elle est nôtre, quoique nous ne la comptions pas au nombre des parties de l’âme. Elle est nôtre d’une certaine manière, et elle n’est pas nôtre d’une autre manière : c’est que tantôt nous nous en servons, tantôt nous ne nous en servons pas, tandis que nous nous servons toujours de la raison discursive ; par conséquent, l’intelligence est nôtre quand nous nous en servons, et elle n’est pas nôtre quand nous ne nous en servons pas. Mais qu’est-ce que se servir de l’intelligence ? Est-ce devenir intelligence et parler comme étant l’intelligence,

  1. En exposant sa doctrine sur les idées et sur l’Intelligence divine, Plotin s’exprime souvent dans les mêmes termes que le fait Bossuet en développant la doctrine platonicienne de saint Augustin ; « Les règles des proportions, par lesquelles nous mesurons toutes choses, sont éternelles et invariables. » (De la Connaissance de Dieu et de soi-même, chap. IV, § 5.)
  2. « Dieu a fait des natures intelligentes, et je me trouve être de ce nombre... Dès là j’entends les choses comme elles sont : ma pensée leur devient conforme, car je les pense telles qu’elles sont ; et elles se trouvent conformes à ma pensée, car elles sont telles que je les pense. Voilà donc quelle est ma nature, pouvoir être conforme à tout, c’est-à-dire pouvoir recevoir l’impression de la vérité, en un mot, pouvoir l’entendre. J’ai trouvé cela en Dieu : car il entend tout, il sait tout... Il est la règle : il ne reçoit pas du dehors l’impression de la vérité ; il est la vérité même, il est la vérité qui s’entend parfaitement elle-même. En cela donc je me reconnais fait à son image : non son image parfaite, car je serais comme lui la vérité même ; mais fait à son image, capable de recevoir naturellement l’impression de la vérité. Et quand je reçois actuellement cette impression, quand j’entends actuellement la vérité que j’étais capable d’entendre, que m’arrive-t-il, sinon d’être actuellement éclairé de Dieu et rendu conforme à lui ? (Ibid., chap. IV, § 8, 9.)