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LIVRE NEUVIÈME.

que le vulgaire, les connaisseurs y voient autre chose, quand ils regardent, par exemple, des peintures avec un œil exercé. Mais en reconnaissant dans les choses sensibles une image des essences intelligibles, ils en sont frappés et ils se rappellent la véritable beauté : de là naît l’amour[1]. Quand on voit briller dans un visage une éclatante image de la beauté, on s’élève à l’intelligible[2]. Il faut avoir un esprit pesant, insensible, pour contempler toutes les beautés du monde visible, cette harmonie, cet ordre imposant, ce grand spectacle qu’offrent les astres malgré leur éloignement, sans être frappé d’enthousiasme par leur vue, sans admirer leur éclat et leur magnificence. Si l’on n’éprouve pas ces sentiments, c’est qu’on n’a pas bien considéré les choses sensibles et que l’on connaît encore moins le monde intelligible.

XVII. Les Gnostiques diront peut-être que s’ils haïssent le corps, c’est parce que Platon s’en plaint beaucoup, l’accuse d’être un obstacle pour l’âme, dit qu’il lui est bien inférieur[3]. Ils devraient alors, faisant par la pensée abstraction du corps du monde, considérer le reste, c’est-à-dire la sphère intelligible qui contient en soi la forme du monde, puis les âmes incorporelles qui, dans un ordre parfait, communiquent la grandeur à la matière en l’éten-

  1. Voy. Enn. I, liv. vi, § 7.
  2. Saint Augustin dit à ce sujet en parlant des Platoniciens : « Voyant que le corps et l’âme ont des formes plus ou moins belles et excellentes, et que, s’ils n’avaient point de forme, ils n’auraient point d’être, ils ont compris qu’il y a un être où se trouve la forme première et immuable, laquelle, à ce titre, n’est comparable avec aucun autre ; par suite, que là est le principe des choses, qui n’est fait par rien et par qui tout a été fait. Et c’est ainsi que ce qui est connu de Dieu, Dieu lui-même l’a manifesté à ces philosophes, depuis que les profondeurs invisibles de son essence, sa vertu créatrice et sa divinité éternelle sont devenues visibles par ses ouvrages. » (Cité de Dieu, VIII, 7 ; t. II, p. 82 de la trad. de M. Saisset.)
  3. Voy. Platon, Phédon, passage cité p. 381-383. Porphyre, De l’Abstinence des viandes, liv. i, 38-40.