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DEUXIÈME ENNÉADE.

selle, comme le prouvent l’existence et la sage disposition du monde. Qui de ces hommes si orgueilleux est aussi bien ordonné, aussi sage que l’univers, et pourrait même se comparer avec lui sans ridicule, sans absurdité ? Une pareille comparaison est une impiété quand on ne la fait pas seulement pour le besoin de la discussion. Douter de pareilles vérités est le propre d’un homme aveugle et insensé, qui n’a ni expérience ni raison, et qui est si éloigné de connaître le monde intelligible qu’il ne connaît même pas le monde sensible. Quel est le musicien qui, après avoir saisi l’harmonie intelligible, entendra sans émotion celle des sons sensibles ? Quel est l’homme qui, sachant la géométrie et l’arithmétique, n’aimera à reconnaître de la symétrie, de l’ordre, de la proportion, dans les objets qui frappent ses regards ? C’est que, tout en ayant sous les yeux les mêmes objets


    hommes peuvent faire aux hommes, est véritablement insensé. Plotin, philosophe platonicien, a discuté la question de la Providence, et il lui suffit de la beauté des fleurs et des feuilles pour prouver cette Providence, dont la beauté est intelligible et ineffable, qui descend des hauteurs de la majesté divine jusqu’aux choses de la terre les plus viles et les plus basses, puisque, en effet, ces créatures si frêles, et qui passent si vite, n’auraient point leur beauté et leurs harmonieuses proportions, si elles n’étaient formées par un être toujours subsistant qui enveloppe tout dans sa forme intelligible et immuable (Enn. III, liv. ii, § 13). C’est ce qu’enseigne Notre Seigneur Jésus-Christ quand il dit : « Regardez les lis des champs ; ils ne travaillent ni ne filent ; or, je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n’était pas vêtu comme l’un d’eux. Que si Dieu prend soin de vêtir de la sorte l’herbe des champs, qui est aujourd’hui et qui demain sera jetée au four, que ne fera t-il pas pour vous, homme de peu de foi ? » (S. Matthieu, VI, 28-30.) Il était donc convenable d’accoutumer l’homme, encore faible et attaché aux objets terrestres, à n’attendre que de Dieu seul les biens nécessaires à cette vie mortelle, si méprisables qu’ils soient d’ailleurs au prix des biens de l’autre vie, afin que, dans le désir même de ces biens imparfaits, il ne s’écartât pas du culte de celui qu’on ne possède qu’en les méprisant. » (Cité de Dieu, X, 14 ; t. II, p. 211 de la trad. de M. Saisset.)