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DEUXIÈME ENNÉADE.

quand on méprise des êtres placés si près de ceux qui tiennent le premier rang, c’est qu’on ne connaît ceux-ci que de nom.

Comment peut-il être pieux de prétendre que la Providence divine ne s’étend pas aux choses sensibles ou du moins ne s’occupe pas de quelques-unes d’entre elles[1] ?

  1. Pour comprendre les objections que Plotin adresse ici aux Gnostiques, il faut se rappeler que, selon eux, Dieu, renfermé dans le Plérôme, ne s’occupe que des pneumatiques, que le monde a été fait et est gouverné par l’être imparfait appelé le Démiurge. Or voici quelle idée ils s’en forment : « L’auteur de la Loi [contenue dans le Pentateuque] est le Démiurge, l’artisan de cet univers et des choses qu’il contient (ποιητὴς τοῦδε τοῦ παντὸς ϰόσμου ϰαὶ τῶν ἐν αὐτῷ) ; il a une essence qui est différente de celle de Dieu et de celle du diable et intermédiaire entre elles. Si le Dieu parfait est bon par sa nature, comme il l’est réellement, si l’Être qui lui est opposé a une nature mauvaise et perverse dont l’injustice constitue le principal caractère, il en résulte que l’Être intermédiaire, n’étant ni bon, ni mauvais, ni injuste, peut être appelé juste en tant qu’il administre sa propre justice. Ce dieu [le Démiurge] est imparfait par rapport au Dieu parfait ; il n’est pas à la hauteur de sa justice, car il est engendré au lieu d’être non-engendré. Il n’y a qui soit non-engendré (ἀγέννητος) que le Père, dont toutes choses procèdent réellement, parce que toutes choses dépendent de lui (ὁ Πατὴρ ἐξ οὖ τά πάντα ἰδὶως, τῶν πάντῶν ἠρτημένων ἀπ’ αὐτοῦ). Cependant le Démiurge est plus grand et plus puissant que l’Être opposé au Dieu parfait, quoiqu’il ait une nature et une essence différentes des leurs. En effet, l’Être opposé au Dieu parfait a pour essence la corruption et les ténèbres (φθορὰ ϰαὶ σϰότος) ; il est matériel et multiple (ὑλιϰὸς ϰαὶ πολυσκιδής). Au contraire, le Père de toutes choses, lequel est non-engendré, a pour essence l’incorruptibilité et la lumière même (ἀφθασία ϰαὶ φῶς αὐτό); il est simple et uniforme (ἀπλοῦν ϰαὶ μονοειδές). L’essence de tous les deux a produit une double puissance [qui constitue le Démiurge]. Cependant le Démiurge est l’image du meilleur [du Dieu parfait]. » (Lettre de Ptolémée à Flora dans les Œuvres de S. Irénée. p. 361 de l’éd. Massuet.) Cette conception d’un Démiurge, dont la nature et les œuvres sont mélangées de bien et de mal, est aussi contraire à la doctrine platonicienne qu’au Christianisme, comme le démontre saint Augustin dans la Cité de Dieu, XI, 22. Voy. aussi plus loin, p. 306, note 1.