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LIVRE NEUVIÈME.

XVI. Qu’on ne croie pas que l’on devienne un homme de bien parce qu’on méprise les dieux, le monde et toutes les beautés qui s’y trouvent. Mépriser les dieux est le principal caractère du méchant ; nul n’est complètement pervers que lorsqu’il méprise les dieux ; ne fût-on pas d’ailleurs entièrement pervers, il suffit de ce vice pour le devenir[1]. Le respect que les Gnostiques prétendent professer pour les dieux intelligibles n’est qu’une inconséquence. Quand on aime un être, on aime tout ce qui s’y rattache ; on étend aux enfants l’affection qu’on a pour le Père. Or toute âme est fille du Père céleste. Les âmes qui président aux astres sont intellectuelles, bonnes et plus rapprochées de Dieu que les nôtres. Comment ce monde sensible, avec les dieux qu’il contient, pourrait-il être séparé du monde intelligible ? Nous avons déjà montré plus haut l’impossibilité d’une telle séparation[2]. Maintenant, nous affirmons que

  1. Les Gnostiques croyaient leur âme d’une nature supérieure à celle des astres que Plotin appelle des dieux. Voy. la Note, p. 535. Quant à la doctrine de Plotin (doctrine empruntée au Timée de Platon), voici le jugement qu’en porte saint Augustin : « Au milieu des vanités et des folies du paganisme, ce qu’il y a de plus supportable, c’est la doctrine des philosophes qui ont méprisé les superstitions vulgaires, tandis que la foule se précipitait aux pieds des idoles, et. tout en leur attribuant mille indignités, les appelait dieux immortels et leur offrait un culte et des sacrifices. C’est avec ces esprits d’élite, qui, sans proclamer hautement leur pensée, l’ont du moins murmurée à demi-voix dans leurs écoles, c’est avec de tels hommes qu’il peut convenir de discuter cette question : faut-il adorer, en vue de la vie future, un seul Dieu, auteur de toutes les créatures spirituelles et corporelles, ou bien cette multitude de dieux qui n’ont été reconnus par les plus excellents et les plus illustres de ces philosophes qu’à titre de divinités secondaires créées par le Dieu suprême, et placées de sa propre main dans les régions supérieures de l’univers ? » (Saint Augustin, Cité de Dieu, VI, 1 ; t. I, p. 337, de la trad. de M. Saisset.) Dans la phrase suivante de Plotin, les dieux intelligibles que les Gnostiques honorent sont les Éons. Voy. plus haut, p. 272, note 4.
  2. Voy. p. 265, 284, 531.