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DEUXIÈME ENNÉADE.

Cependant, ceux qui connaissent la divinité devraient s’y attacher même ici-bas, et, s’attachant aux premiers principes, corriger les choses de la terre en y appliquant leur nature divine : car c’est à la nature qui dédaigne la volupté corporelle qu’il appartient de comprendre en quoi consiste l’honnêteté ; quiconque n’a point de vertu ne saurait s’élever aux choses intelligibles. Ce qui prouve la justesse de nos critiques, c’est que les Gnostiques ne parlent pas de la vertu, ne s’en occupent jamais, n’en donnent aucune définition, n’en déterminent pas les espèces, ne rapportent rien de tant de belles discussions que les anciens nous ont laissées sur ce sujet ; ne disent pas comment on peut acquérir ni conserver les qualités morales, comment on doit cultiver et purifier l’âme[1]. Leur précepte : « Contemple Dieu[2], » est inutile si l’on n’enseigne aussi comment on doit contempler Dieu. Qu’est-ce qui empêche, pourrait-on dire aux Gnostiques, de contempler Dieu, sans pour cela s’abstenir d’aucune volupté, sans réprimer sa colère ? Qu’est-ce qui empêche de répéter le nom de Dieu, tout en se laissant dominer par ses passions et en ne faisant rien pour les réprimer ? La vertu, portée à sa perfection, établie solidement dans l’âme par la sagesse, voilà ce qui nous montre Dieu. Sans la véritable vertu, Dieu n’est qu’un mot[3].

  1. Ici, Plotin va trop loin en affirmant que les Gnostiques ne parlaient jamais de la vertu. Ils ont composé sur ce sujet des homélies dont les Pères de l’Église nous ont conservé de nombreux fragments. Nous en citons nous-mêmes quelques-uns, p. 308, note 2, et p. 536, note 1.
  2. Voy. plus haut, p. 283, note 2.
  3. Cette pensée est développée dans un passage de Porphyre cité par saint Augustin : « Dieu, comme le père de toutes choses (dit Porphyre), n’a besoin de rien ; et nous attirons ses grâces sur nous, lorsque nous l’honorons par la justice, par la chasteté et par les autres vertus, et que notre vie est une continuelle prière par l’imitation de ses perfections et la recherche de sa vérité. Cette recherche nous purifie et l’imitation nous rapproche de lui. » (Cité de Dieu, XIX, 23 ; t. IV, p. 64 de la trad. de M. Saisset.)