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LIVRE NEUVIÈME.

pas une simple imitation. Prétendre que le monde imite mal son modèle, c’est se tromper : il n’y manque aucune des choses que pouvait renfermer une image (εἰϰὼν) belle et naturelle : car il était nécessaire que cette image existât, sans supposer cependant ni raisonnement ni art [dans l’Âme universelle][1].

En effet, l’intelligible ne pouvait être le dernier degré de l’existence (ἔσχατον) ; il devait être doublement en acte : être en acte en lui-même, être en acte pour les autres êtres[2] [exister et créer]. Il fallait qu’il y eût quelque chose après lui : car il n’y a que le plus impuissant de tous les êtres duquel il ne procède rien[3] ; mais l’intelligible possède une puissance admirable; il devait donc créer[4].

S’il y a un monde possible meilleur que le monde actuel, quel est-il ? Si l’existence du monde est nécessaire et qu’il n’y ait pas d’autre monde possible meilleur que celui-ci, celui-ci offre l’image fidèle du monde intelligible. La terre est tout entière peuplée d’êtres animés et même immortels ; tout en est plein d’ici-bas jusqu’au ciel[5]. Pour-

  1. Voy. plus haut, p. 188-193.
  2. Sur les deux sens de l’expression être en acte, Voy. plus haut, p. 228.
  3. C’est la matière. Voy. Enn. I, liv. viii, § 7, p. 199.
  4. Voy. plus haut, p. 264.
  5. On trouve les mêmes idées dans un passage de Philon cité par M. Franck (La Kabbale, p. 310) : « Les êtres que les philosophes des autres nations désignent sous le nom de démons, Moïse les appelle des anges. Ce sont des âmes qui flottent dans l’air, et personne ne doit regarder leur existence comme une fable : car il faut que l’univers soit animé dans toutes ses parties et que chaque élément soit habité par des êtres vivants. C’est ainsi que la terre est peuplée par les animaux, la mer et les fleuves par les habitants de l’eau, le feu par la salamandre, que l’on dit très-commune en Macédoine, le ciel par les étoiles. En effet, si les étoiles n’étaient pas des âmes pures et divines, nous ne les verrions pas douées du mouvement circulaire, qui n’appartient en propre qu’à l’esprit. Il faut donc que l’air soit également rempli de créatures vivantes, quoique l’œil ne puisse pas les voir. » (De Gigantibus, t. i, p. 253, Éd. Mangey.)