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DEUXIÈME ENNÉADE.

intelligibles[1] ? Si ce monde n’est pas l’égal du modèle intelligible qu’il imite, c’est naturel[2] ; sans cela, il ne serait

  1. Voy. Platon, Timée.
  2. Saint Augustin a développé la même pensée dans le passage suivant : « Condamner les défauts des bêtes, des arbres et des autres choses muables et mortelles, privées d’intelligence, de sentiment et de vie, sous prétexte que ces défauts les rendent sujettes à se dissoudre et à se corrompre, c’est une absurdité ridicule. Ces créatures, en effet, ont reçu leur manière d’être de la volonté du Créateur, afin d’accomplir par leurs vicissitudes et leur succession cette beauté inférieure de l’univers qui est assortie, dans son genre, à tout le reste. Il ne convenait pas que les choses de la terre fussent égales aux choses du ciel, et la supériorité de celles-ci n’était pas une raison de priver l’univers de celles-là. Lors donc que nous voyons certaines choses périr pour faire place à d’autres qui naissent, les plus faibles succomber sous les plus fortes, et les vaincus servir en se transformant aux qualités de celles qui triomphent, tout cela en son lieu et à son heure, c’est l’ordre des choses qui passent. Et si la beauté de cet ordre ne nous plaît pas, c’est que, liés par notre condition mortelle à une partie de l’univers changeant, nous ne pouvons en sentir l’ensemble où ces fragments qui nous blessent trouvent leur place, leur convenance et leur harmonie. C’est pourquoi dans les choses où nous ne pouvons saisir aussi distinctement la providence du Créateur, il nous est prescrit de la conserver par la foi, de peur que la vaine témérité de notre orgueil ne nous emporte à blâmer par quelque endroit l’œuvre d’un si grand ouvrier. Aussi bien, si l’on considère d’un regard attentif les défauts des choses corruptibles, je ne parle pas de ceux qui sont l’effet de notre volonté ou la punition de nos fautes, on reconnaîtra qu’ils prouvent l’excellence de ces créatures, dont il n’est pas une qui n’ait Dieu pour principe et pour auteur : car c’est justement ce qui nous plaît dans leur nature que nous ne pouvons voir se corrompre et disparaître sans déplaisir, à moins que leur nature elle-même ne nous déplaise, comme il arrive souvent quand il s’agit de choses qui nous sont nuisibles et que nous considérons, non plus en elles-mêmes, mais par rapport à notre utilité, par exemple ces animaux que Dieu envoya aux Égyptiens en abondance pour châtier leur orgueil. C’est donc la nature considérée en soi et non par rapport à nos convenances qui fait la gloire de son Créateur. » (Cité de Dieu, xii, 5 ; t. ii, p. 337 de la trad. de M. Saisset.)