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LIVRE NEUVIÈME.

créant le monde ? Il serait plaisant de s’imaginer qu’elle a créé le monde pour être honorée (ἵνα τιμῷτο)[1] : ce serait lui prêter les sentiments d’un statuaire. Si elle a créé en vertu d’une conception rationnelle (διανοίᾳ ἐποίει)[2], et si, quoiqu’il ne fût pas dans sa nature de créer, sa puissance s’est exercée par la création, comment a-t-elle fait le monde ? Quand le détruira-t-elle ? Si elle s’est repentie (μετέγνω)[3], qu’attend-elle [pour anéantir son œuvre] ? Si elle ne s’est pas encore repentie, elle ne saurait se repentir quand le temps l’aura habituée à son œuvre et l’aura rendue plus bienveillante pour elle. Si elle attend les âmes individuelles (τὰς ϰαθ’ ἕϰαστον ψυχὰς ἀναμένει)[4], celles-ci auraient dû ne pas revenir dans la génération, puisque, dans la génération antérieure, elles ont déjà fait l’épreuve des maux d’ici-bas, et que, par conséquent, elles auraient depuis longtemps dû cesser de descendre sur la terre.

Il ne faut pas accorder que le monde est mal fait, parce qu’on y souffre mille peines : c’est exiger pour le monde sensible une trop grande perfection et le confondre avec la monde intelligible dont il n’est que l’image (εἰϰών)[5] ? Mais

  1. Voy. § 11. L’assertion de Plotin est inexacte. Valentin disait, au contraire, que Achamoth avait fait toutes choses en l’honneur des Éons. Voy. la Note, p. 515.
  2. L’expression : Elle a créé en vertu d’une conception rationnelle, διανοίᾳ ἐποίει, équivaut ici à la phrase qui se trouve plus loin, au § 11, p. 289 : Ce n’est qu’après avoir conçu la Raison du monde, τῷ λογισμὸν λαϐεῖν ϰόσμου, que l’Âme a pu illuminer les ténèbres en vertu même de cette conception rationnelle.
  3. Voy. plus loin, § 6, p. 271. Voy. aussi plus haut, p. 149.
  4. Valentin enseignait que, si l’ordre actuel des choses durait, c’était parce que Achamoth attendait, pour détruire le monde, que toutes les âmes fussent arrivées à la perfection. Voy. la Note, p. 518.
  5. Voy. Enn. II, liv. iii, § 18, p. 193. Voici le développement de la même pensée dans saint Augustin : « Toutes les natures, dès là qu’elles sont, ont leur mode, leur espèce, leur harmonie intérieure, et partant sont bonnes. Et comme elles sont placées au rang qui leur convient selon l’ordre de leur