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DEUXIÈME ENNÉADE.

c’est impossible, la matière doit être illuminée [par le monde intelligible].

IV. Mais, dira-t-on, si l’Âme a créé, c’est parce qu’elle a perdu ses ailes (πτεροῤῥυήσασα)[1]. — L’Âme universelle ne saurait être sujette à un pareil accident. Si l’on prétend qu’elle a failli, qu’on dise la cause de sa faute (σφάλμα)[2]. Quand a-t-elle failli ? Si c’est de toute éternité, par la même raison, elle doit demeurer dans sa faute ; si c’est seulement après un temps déterminé, pourquoi n’a-t-elle pas failli plus tôt ? Quant à nous, nous croyons que si l’Âme a créé le monde, ce n’est pas parce qu’elle a incliné [vers la matière], mais plutôt parce qu’elle n’a pas incliné. Pour incliner ainsi, il aurait fallu que l’Âme eût oublié les intelligibles ; mais, si elle les avait oubliés, comment aurait- elle créé le monde ? D’après quoi l’aurait-elle formé ? Elle l’a formé sans doute d’après les intelligibles qu’elle avait contemplés là-haut. Si elle s’en est souvenue en formant le monde, elle n’avait pas incliné. Elle n’avait donc pas une notion obscure des intelligibles ; sinon, elle aurait incliné vers eux[3] pour en avoir une intuition claire : car, pourquoi n’aurait-elle pas voulu rentrer dans le monde intelligible (ἐπανελθεῖν)[4], puisqu’elle en conservait quelque souvenir ?

En outre, quel avantage a-t-elle pu croire se procurer en

  1. Cette expression est empruntée à Platon, Phèdre, p. 25, 55, 60.
  2. Plotin attaque ici la théorie des Gnostiques qui expliquaient la création du monde sensible par la chute de Sophia et d’Achamoth. Voy. la Note, p. 508, 512.
  3. Le mot νεῦσις, inclination, mot sur lequel roule tout le raisonnement de Plotin, est ici pris successivement dans deux sens : tourner ses regards vers le monde sensible pour créer et les tourner vers le monde intelligible pour y contempler les modèles des êtres sensibles. Voy. Platon, Timée, p. 28.
  4. Rentrer dans le monde intelligible veut dire rentrer dans le Plérôme, comme Achamoth devait le faire, selon les Gnostiques, quand le temps en serait venu. Voy. la Note, p. 518, 533.