Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
LIVRE NEUVIÈME.

Quant à celles qui sont indissolubles, elles ne périront pas[1]. — Elles pourront, dira-t-on peut-être, se résoudre en matière. — Alors pourquoi la matière aussi ne serait-elle pas dissoluble ? Si on accorde qu’elle est dissoluble, quelle nécessité y avait-il qu’elle existât[2] ? — L’existence de la matière, dira-t-on, résulte nécessairement de l’existence des autres principes. — Dans ce cas, cette nécessité subsiste encore. Si on laisse la matière isolée [du monde intelligible], il s’en suivra que les principes divins, au lieu d’être partout[3], seront en quelque sorte murés dans un lieu déterminé[4]. Si

  1. Dans la doctrine des Néoplatoniciens, le monde est tout à la fois éternel et créé, parce qu’il est créé de toute éternité. C’est ce que saint Augustin explique fort bien par la comparaison suivante : « Les Platoniciens disent qu’il ne s’agit pas d’un commencement de temps, mais d’un commencement de cause. Il en est, disent-ils, comme d’un pied qui serait de toute éternité posé sur la poussière ; l’empreinte existerait toujours au-dessous, et cependant elle est faite par le pied, de sorte que le pied n’existe pas avant l’empreinte, bien qu’il la produise. » (Cité de Dieu, X, 31, t. II, p. 253 de la trad. de M. Saisset.) Saint Augustin réfute ensuite l’opinion des Néoplatoniciens et démontre qu’elle est contraire à la raison et même à la doctrine de Platon.
  2. Plotin combat dans ce passage le système des Gnostiques, selon lesquels le monde a été créé et doit périr. Voy. la Note, p. 521.
  3. Les Gnostiques identifiaient le mal avec la matière. Pour rendre Dieu étranger à l’existence du mal, ils le rendaient étranger aussi à l’existence de la matière, et ils enseignaient que tout être qui n’est pas un pur esprit est relégué hors du Plérôme et inconnu à Dieu (p. 531). Plotin leur objecte que leur hypothèse est contraire au principe que Dieu est présent partout. Saint Irénée développe longuement cette idée dans sa polémique contre les Gnostiques (Contre les hérésies, II, 1). Son argumentation peut se résumer dans cette phrase de saint Augustin : « Dieu seul est la cause véritable et universelle ; Dieu, dis-je, en tant qu’il est tout entier partout, sans être enfermé dans aucun lieu ni retenu par aucun obstacle, indivisible, immuable, emplissant le ciel et la terre, non de sa nature, mais de sa puissance. » (Cité de Dieu, VII, 30 ; t. II, p. 58 de la trad. de M. Saisset). Plotin revient sur ce point, § 9, p. 284, et § 16, p. 301.
  4. C’est une allusion à Horos. Voy. la Note, p. 531.