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LIVRE NEUVIÈME.

deux Intelligences, l’une en repos, et l’autre en mouvement[1] ? Que serait en effet le repos de la première, que seraient le mouvement et la parole (προφορὰ)[2] de la seconde ? En quoi consisteraient l’inaction de l’une et l’action de l’autre ? Par son essence, l’Intelligence est éternellement et identiquement un acte permanent. S’élever à l’Intelligence et se mouvoir autour d’elle est la fonction propre de l’Âme. Quant à la Raison (λόγος), qui descend de l’Intelligence dans l’Âme et la rend intellectuelle, elle ne constitue pas une nature distincte de l’Âme et de l’Intelligence et intermédiaire entre elles[3].

Il ne convient pas non plus d’admettre qu’il y ait plusieurs Intelligences en disant que l’une pense, et que l’autre pense que la première pense : car si penser et penser que l’on pense sont [pour l’esprit] deux choses différentes, cependant il n’y a là qu’une seule intuition qui a conscience de ses actes (μία προσϐολὴ οὐϰ ἀναίσθητος τῶν ἐνεργημάτων ἑαυτῆς). Il est ridicule de supposer que l’Intelligence véritable n’ait pas une telle conscience. C’est donc la même Intelligence qui pense et qui pense qu’elle pense ; sinon, il y aurait deux principes, dont l’un aurait la pensée, et l’autre, la conscience de la pensée ; le second différerait du premier sans doute, mais ne serait pas le véritable principe pensant.

  1. Voy. la Note, p. 521-522.
  2. L’expression προφορὰ rappelle celle de λόγος ἐν προφορᾷ employée précédemment par Plotin (Enn. I, liv. II, § 3, p. 56). Le sens en est expliqué dans ce passage célèbre de Philon : « Il y a deux verbes (διττὸς ὁ λόγος) dans l’univers et dans l’homme. Dans l’univers, il y a le Verbe des idées incorporelles et archétypes (ὁ περὶ τῶν ἀσωμάτων ϰαὶ παραδειγματιϰῶν ἰδεῶν), avec lesquelles a été fondé le monde intelligible ; et le Verbe des êtres visibles (ὁ περὶ τῶν ὁρατῶν), qui sont les images des idées, et avec lesquels a été composé le monde sensible. Dans l’homme, il y a le verbe intérieur (λόγος ἐνδιάθετος) et le verbe prononcé (λόγος ποφοριϰός) : le premier est la source dont découle le second. » (De Mosis vita, III, p. 154, éd. Mangey.)
  3. Voy. la Note, p.522. Plotin revient encore plus loin sur la même hypothèse, p. 261.