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DEUXIÈME ENNÉADE.

ne vient pas frapper l’œil, celui-ci ne peut plus connaître l’étendue de l’ensemble en mesurant par les détails la grandeur offerte à ses regards. Dans le cas même où les objets sont voisins et variés, si nous les embrassons d’un seul regard sans discerner toutes leurs parties, plus notre vue perd de parties, plus les objets nous paraissent petits. Au contraire, si nous distinguons tous leurs détails, nous les mesurons exactement et nous connaissons leur grandeur. Les grandeurs d’une couleur uniforme trompent l’œil parce qu’il ne peut mesurer leur étendue par parties, et que, s’il l’essaie, il se perd ne sachant où s’arrêter, faute de différence entre les parties.

L’objet éloigné nous paraît voisin, parce que l’impossibilité où nous sommes de distinguer les parties de l’espace intermédiaire ne nous permet pas d’en déterminer exactement la grandeur. Quand la vue ne peut parcourir la longueur d’un intervalle en en déterminant la qualité sous le rapport de la forme, elle ne peut pas non plus en déterminer la quantité sous le rapport de la grandeur.

II. Quelques-uns disent[1] que les objets éloignés nous paraissent moindres parce qu’ils sont vus sous un angle visuel plus petit. Nous avons montré ailleurs[2] que c’était faux. Pour le moment nous nous bornerons aux observations suivantes.

Celui qui prétend que l’objet éloigné paraît moindre parce qu’il est aperçu sous un angle visuel plus petit, suppose que le reste de l’œil voit encore quelque chose en dehors de cet objet, soit un autre objet, soit quelque chose d’extérieur, l’air, par exemple. Mais, quand on suppose que l’œil ne voit rien en dehors de cet objet, soit que cet objet (par exemple, une grande montagne), remplissant l’étendue de l’œil tout entier, ne permette de rien apercevoir au delà,

  1. Cette phrase parait dirigée contre Aristote : De Sensu et sensili, II.
  2. Voy. Enn. IV, liv. v.