Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
245
LIVRE SEPTIÈME.

selon les mêmes philosophes, par la sortie de l’air, sortie qui permet à un corps de pénétrer dans les pores de l’autre. Enfin, si l’on mêle deux corps dont les étendues sont inégales, comment le corps le plus petit peut-il s’étendre assez pour se répandre dans toutes les parties du plus grand ? Il y a encore cent autres raisons du même genre.

Passons aux philosophes [Stoïciens] qui prétendent que deux corps qui constituent un mixte se pénètrent totalement[1]. Voici ce qu’ils ont à dire à l’appui de leur opinion : Lorsque deux corps se pénètrent totalement, ils sont divisés sans qu’il y ait cependant une division continue [qui fasse perdre toute grandeur à leurs molécules]. En effet, la sueur sort de tout le corps humain sans qu’elle le divise ni que celui-ci soit percé de trous. Si l’on objecte que la nature peut avoir donné à notre corps une disposition qui permet à la sueur de sortir facilement, [les Stoïciens] répondront que certaines substances, lorsqu’elles sont travaillées par les artisans qui les réduisent en lames minces, se laissent pénétrer et imbiber dans toutes leurs parties d’une liqueur qui passe d’une surface à l’autre[2].

  1. C’était l’opinion de Zénon le Stoïcien, comme le rapporte Stobée (Eclogœ, I, 18) : Ζήνων ὐποφαίνεται διαῤῥήδην τὴν μίξιν ϰρᾶσιν γίγεσθαι τῄ σὶς ἄλληλα τῶν στοιχείων μεταϐολῇ, σώματος ὅλου δι’ὅλου ἐτέρου τινὸς διερχομένου. M. Ravaisson développe ainsi cette théorie (t. II, p. 298) : « Tandis que dans tout mélange, suivant Aristote, les corps constituants conservent distinctes leurs étendues, et que leurs qualités seulement peuvent ou subsister également distinctes, ou se perdre en une qualité nouvelle qui est leur commune résultante ; au contraire, dans la mixtion telle que les Stoïciens la définissent, les éléments qui se mêlent conservent leurs qualités et confondent, identifient leurs étendues. Sans perdre aucune de leurs propriétés respectives, ils se remplacent mutuellement, ils occupent la place l’un de l’autre dans toutes leurs dimensions. »
  2. Plotin semble avoir ici en vue les feuilles d’ivoire que les artisans amollissaient avec de l’eau d’orge. Voy. Plutarque : Si la méchanceté suffit pour rendre l’homme malheureux, p. 499.