Page:Plotin - Ennéades, t. I.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
232
DEUXIÈME ENNÉADE.

comment pourrait-elle être en acte quelqu’un des êtres[1] ? Évidemment elle ne serait plus en puissance tous les êtres. Si la matière n’est aucun des êtres, nécessairement elle n’est pas un être. Si elle n’est aucun des êtres, comment pourrait-elle être quelque chose en acte ? Elle n’est donc aucun des êtres qui deviennent en elle. Mais qui l’empêche d’être quelque autre chose, puisque tous les êtres ne sont pas dans la matière ? Si elle n’est aucun des êtres qui sont en elle, si ceux-ci sont réellement des êtres, la matière doit être le non-être. Étant conçue par l’imagination comme une chose informe (ἀνείδεόν τι)[2], elle ne saurait être une forme ; elle ne peut donc être comptée parmi les formes comme être : raison nouvelle pour qu’elle soit considérée comme non-être. N’étant un être ni par rapport aux êtres ni par rapport aux formes, la matière est le non-être au plus haut degré. Puisqu’elle ne possède pas la nature des êtres véritables, qu’elle ne peut pas même arriver à être placée au nombre des objets appelés faussement des êtres (car elle n’est même pas, comme ces derniers, une image de la raison), dans quel genre de l’être la matière pourrait-elle être comprise ? Si elle ne l’est dans aucun, comment pourrait-elle être quelque chose en acte ?

V. S’il en est ainsi, quelle opinion nous formerons-nous de la matière ? Comment est-elle la matière des êtres ? C’est qu’elle est les êtres en puissance. Mais, puisqu’elle est déjà en puissance, ne peut-on pas déjà dire d’elle qu’elle est en considérant ce qu’elle doit être ? L’être de la matière n’est que ce qui doit être (τὸ μέλλον) : il consiste dans ce qui sera (ὅ ἔσται)[3] ; donc il est en puissance ; il n’est pas en puissance une chose déterminée , il est en puissance toutes choses. N’étant ainsi rien par lui-même, étant ce qu’il est, c’est-à-dire la matière, il n’est rien en acte. S’il était quelque chose

  1. Voy. Enn. II, liv. iv, § 10 ; Enn. III, liv. vi, § 7 ; Enn. VI, liv. i, § 27.
  2. Voy. plus haut, p. 206.
  3. Voy. plus haut, p. 224.