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LIVRE CINQUIÈME.

devînt quelque chose, elle serait seulement ce qu’elle était ; or elle était déjà ce qu’elle était, elle ne devait rien devenir. Que pouvait-elle devenir autre que ce qu’elle était ? Elle n’était donc pas en puissance. Par conséquent, si en considérant ce qui est une chose en puissance et une autre chose en acte, on dit qu’il est en puissance, il faut qu’il puisse devenir autre chose que ce qu’il est, soit qu’après avoir produit cette autre chose il reste ce qu’il est, soit que, en devenant cette autre chose qu’il est en puissance, il cesse d’être ce qu’il est lui-même[1]. En effet, si l’airain est une statue en puissance, ce n’est pas comme l’eau est en puissance l’airain, comme l’air est en puissance le feu[2].

Faut-il dire que ce qui est ainsi en puissance est une puissance par rapport à ce qui doit être, que l’airain, par exemple, est la puissance d’une statue ? Non, si l’on entend la puissance productrice : car on ne saurait dire que la puissance productrice est en puissance. Si l’on rapprochait être en puissance non-seulement d’être en acte, mais encore d’être un acte, il en résulterait que la puissance serait en puissance. Il vaut mieux, il est plus clair, d’opposer être en puissance à être en acte, être une puissance à être un acte. La chose qui est ainsi en puissance est le sujet des modifications passives, des formes, des caractères spécifiques (ὑποϰείμενόν τι πάθεσι ϰαὶ μορφαῖς ϰαὶ εἴδεσι)

  1. Simplicius fait allusion à tout ce paragraphe dans son Commentaire sur la Physique d’Aristote, p. 90.
  2. « C’est la réunion de l’essence et de la matière qui est la nature des êtres. Telle est celle des animaux, celle de leurs parties. Mais il faut dire que la matière première est une nature, et qu’elle peut l’être sous deux points de vue : car elle peut être ou première relativement à un objet ou absolument première. Ainsi pour les objets dont la substance est l’airain, c’est l’airain qui est premier relativement à ces objets ; mais absolument, c’est l’eau peut-être, s’il est vrai que l’eau est le principe de tous les corps fusibles. » (Métaphysique, V, 4 ; t. I, p. 157 de la trad.).