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LIVRE QUATRIÈME.

L’infini d’ici-bas est-il moins infini ? Au contraire, il l’est plus. Par cela même que l’image est éloignée de l’être véritable, elle est plus infinie. L’infinité est plus grande dans ce qui est moins déterminé[1]. Or ce qui est plus éloigné du bien est plus dans le mal. Donc là-haut l’infini, possédant plus l’être, est l’infini idéal (εἴδωλον ὡς ἄπειρον) ; ici-bas, l’infini possédant moins l’être, parce qu’il est éloigné de l’être et de la vérité, qu’il dégénère en image [de l’être véritable], est l’infini réel (ἀληθέστερον ἄπειρον).

Y a-t-il identité entre l’infini et l’essence de l’infini ? Quand l’infini est raison et matière, l’infini et l’essence de l’infini sont deux choses différentes. Quand l’infini n’est que la matière, l’infini et l’essence de l’infini sont identiques. Disons mieux : ici-bas, l’infini n’a pas d’essence ; sinon, il serait une raison, ce qui est contraire à la nature de l’infini. Donc la matière est en elle-même l’infini par opposition à la raison. De même que la raison, considérée en elle-même, est appelée raison, de même la matière, qui est opposée à la raison par son infinité et qui n’est nulle autre chose [que matière], doit être appelée infini.

XVI. Y a-t-il identité entre la matière et l’altérité (ἑτερότης)[2] ? La matière n’est pas identique à l’altérité même, mais à une partie de l’altérité, à celle qui est opposée aux êtres véritables et aux raisons. C’est en ce sens qu’on peut dire du non-être qu’il est quelque chose, qu’il est identique à la privation, pourvu que la privation soit l’opposition aux choses qui existent dans la raison. La privation sera-t-elle détruite par son union avec la chose dont elle est un attribut ? Nullement. Le réceptacle de l’habitude (ὑποδοχὴ ἕξεως)[3] n’est pas lui-même une habitude, mais une privation.

  1. « L’infini n’est point permanent, il devient. » (Aristote, Physique, III, 7.)
  2. Voy. plus haut, § 13.
  3. « Tandis qu’Aristote avait compris sous le nom de nature le principe d’unité des êtres inorganiques avec celui des plantes, les Stoïciens nomment seulement