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LIVRE QUATRIÈME.

aucun attribut ; elle se borne à affirmer qu’une chose n’est pas. La privation est donc en quelque sorte le non-être[1].

Si la matière est appelée non-être en ce sens qu’elle n’est pas l’être, mais quelque autre chose que l’être, y a-t-il là encore lieu de faire deux définitions, dont l’une s’applique à la substance, et l’autre s’applique à la privation, pour expliquer qu’elle est une disposition à devenir les autres choses ? Il vaut mieux admettre que la matière doit se définir, ainsi que la substance, une disposition à devenir les autres choses. Si la définition de la privation montre l’indétermination de la matière, elle en peut indiquer la nature. Mais nous ne saurions admettre que la matière et la privation soient une seule chose substantiellement et deux choses logiquement : si dès qu’une chose est indéterminée, indéfinie, sans qualité, elle est identique à la matière, comment peut-il y avoir encore là deux choses logiquement ?

XV. Examinons encore si l’indéterminé, l’infini, est un accident, un attribut de quelque autre nature, comment il est accident, et si la privation peut être un accident. Les choses qui sont des nombres et des raisons sont exemptes de toute indétermination (car ce sont des déterminations, des ordres, des principes d’ordre pour le reste ; or ces principes n’ordonnent pas des objets déjà ordonnés ni des ordres ; la chose qui reçoit l’ordre est autre que celle qui le donne, et les principes dont l’ordre dérive sont la détermination, la limitation, la raison). S’il en est ainsi, ce qui reçoit l’ordre et la détermination est nécessairement l’infini (τὸ

  1. « Il n’est pas vrai, d’une manière absolue, que la matière ne soit rien. Ce qu’elle n’est pas, elle le peut être ; elle est en puissance, sinon en acte. Mais quand une forme s’est réalisée, la forme contraire n’est plus et ne peut plus être. C’est donc la privation qui est le non-être en soi : la matière n’est le non-être, comme aussi elle n’est l’être, que d’une manière relative. » (M. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique d’Aristote, t. I, p. 390.)