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DEUXIÈME ENNÉADE.

XIV. Examinons si la matière est la privation, ou si la privation est un attribut de la matière. Si l’on prétend que la privation et la matière sont une seule chose substantiellement, et deux choses logiquement, on doit expliquer la nature de ces deux choses, définir la matière, par exemple, sans définir la privation, et réciproquement. Ou aucune de ces deux choses n’implique l’autre, ou elles s’impliquent réciproquement, ou l’une des deux seulement implique l’autre. Si l’on peut les définir chacune séparément, et que nulle des deux n’implique l’autre, toutes deux formeront deux choses, et la matière sera autre que la privation, quoique la privation soit un accident de la matière. Mais il faut que nulle des deux ne se trouve même en puissance dans la définition de l’autre. Sont-elles dans le même rapport que le nez camus et le camus[1] ? Alors chacune de ces choses est double et il y a deux choses. Sont-elles dans le même rapport que le feu et la chaleur ? La chaleur se trouve dans le feu, mais le feu ne se trouve pas nécessairement compris dans la chaleur ; ainsi, la matière ayant [pour qualité] la privation, comme le feu a [pour qualité] la chaleur, la privation est une forme de la matière, et a un sujet différent d’elle-même, lequel est la matière[2]. Il n’y a donc pas unité en ce sens.

La matière et la privation sont-elles une seule chose substantiellement, et deux choses logiquement, en ce sens que la privation ne désigne pas la présence d’une chose, mais plutôt son absence, qu’elle est la négation des êtres, comme si l’on disait le non-être ? La négation n’ajoute

  1. Cette comparaison est tirée d’Aristote, Métaphysique, VI, 1, et VII, 5.
  2. Plotin cite souvent dans ses comparaisons le rapport du feu avec la chaleur pour marquer la différence qu’il y a entre la cause et l’effet (Voy. p. 53 de ce volume). Cette idée semble d’origine orientale : « Le feu, quoique chaud, ne se brûle pas lui-même, » disaient les philosophes indiens. (Essais sur la Philosophie des Hindoux, par Colebrooke, t. II, p. 289, trad. de M. Pauthier.)