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DEUXIÈME ENNÉADE.

aucune idée d’étendue. La matière au contraire, étant indéterminée, incapable de rester en elle-même, étant portée à recevoir partout toutes les formes, étant toujours docile, devient multiple par sa docilité et par la génération [à laquelle elle se prête]. C’est de cette manière qu’elle paraît avoir pour nature l’étendue.

XII. Les étendues concourent donc à la constitution des corps : car les formes des corps sont dans des étendues. Ces formes se produisent non dans l’étendue[1] [qui est une forme], mais dans le sujet qui a reçu l’étendue. Si elles se produisaient dans l’étendue au lieu de se produire dans la matière, elles n’auraient ni étendue ni substance : car elles ne seraient que des raisons. Or, comme les raisons résident dans l’âme, il n’y aurait pas de corps. Donc, dans le monde sensible, la multiplicité des formes doit avoir un sujet un, qui ait reçu l’étendue, et qui, par conséquent, soit autre que l’étendue. Toutes les choses qui se mélangent forment un mixte, parce qu’elles contiennent de la matière ; elles n’ont pas besoin d’un autre sujet, parce que chacune d’elles apporte avec elle sa matière. Mais il faut [pour les formes] un réceptacle, un vase, ou un lieu[2]. Or le lieu est posté-

  1. Ce passage semble dirigé contre le Pythagoricien Modératus de Gadès : « Modératus de Gadès voulut, sans confondre l’élément matériel avec le principe divin, l’y rattacher et l’en faire provenir. Selon lui, lorsque Dieu avait voulu que d’autres êtres prissent naissance, il avait séparé de lui la quantité en s’en retirant, en la privant de toutes les formes dont il est la source. Cette quantité était l’élément sans forme, sans divisions et sans figure, mais capable de figure, de division et de forme, dont Platon avait parlé si souvent. Or c’était là le modèle dont la matière des corps était une imitation et comme une ombre. Et cette matière même, en effet, les Pythagoriciens et les Platoniciens l’avaient appelée souvent la quantité. C’était la quantité, l’étendue, non plus dans son idée incorporelle, mais divisée, dispersée, plus éloignée encore de l’être et du bien, et qui semble devenir ainsi le mal lui-même. » (M. Ravaisson, t. II, p. 332).
  2. Plotin répond ici à l’objection qui commence le § 11.