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LIVRE QUATRIÈME.

sidère la matière, se répand dans l’indétermination, sans pouvoir rien circonscrire, ni rien marquer ; sinon, elle déterminerait quelque chose. Ce sujet ne saurait être appelé exclusivement grand ou petit ; il est à la fois grand et petit[1]. Il est à la fois étendu et inétendu parce qu’il est la matière de l’étendue. S’il est agrandi et rapetissé, il parcourt en quelque sorte l’étendue. Son indétermination est une étendue qui consiste à être le réceptacle même de l’étendue, mais à n’être véritablement que l’étendue imaginaire, comme nous l’avons expliqué plus haut. Les autres êtres, qui n’ont pas d’étendue, mais qui sont des formes, sont chacun déterminés, et, par conséquent, n’impliquent

  1. L’expression dont Plotin se sert ici pour désigner la matière, μέγα ϰαὶ σμιϰρόν, rappelle un passage célèbre de la Métaphysique d’Aristote (I, 6) : « Les Idées étant les causes des autres êtres, Platon regarda leurs éléments comme les éléments de tous les êtres : sous le point de vue de la matière, les principes sont le grand et le petit ; sous le point de vue de l’essence, c’est l’unité. Car c’est en tant qu’elles ont le grand et le petit pour substance, et que d’un autre côté elles participent de l’unité, que les idées sont les nombres. Sur ce point que l’unité est l’essence par excellence, et que rien d’autre chose ne peut prétendre à ce titre, Platon est d’accord avec les Pythagoriciens ; que les nombres soient les causes de l’essence des autres êtres, c’est ce qu’il reconnaît encore avec eux. Mais remplacer par une dyade l’infini considéré comme un, constituer l’infini de grand et de petit, voilà ce qui lui est particulier. » Voici le passage de Platon sur lequel cette assertion parait fondée : « Nous parlions tout à l’heure de ce qui est plus chaud et plus froid ; n’est-ce pas ? — Oui. — Ajoutes-y donc ce qui est plus sec et plus humide, plus et moins nombreux, plus vite et plus lent, plus grand et plus petit, et tout ce que nous avons compris ci-dessus dans une seule espèce, savoir, celle qui reçoit le plus ou le moins. — Tu parles de celle de l’infini... Je mets pour la première espèce d’êtres l’infini (ἄπειρον), pour la seconde le fini (πέρας), puis pour la troisième l’essence produite du mélange des deux premières, et pour la quatrième la cause de ce mélange et de cette production. » (Philèbe, p. 25, 27 ; t. II, p. 330, 336 de la trad. de M. Cousin). Plotin développe la même idée, dans l’Ennéade III, liv. vi, § 7, 8.